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peu d’assurance, Nella. s’assit sous un épais buisson pour s’y reposer. En allongeant la tête par-dessus le feuillage, elle aperçut, à sa grande surprise, sir Edgar, qui dormait près de là, sous un groupe de palmiers sauvages. Le jeune chasseur paraissait accablé de fatigue ; il avait appuyé sa tête sur une racine, et ses cheveux, d’un blond soyeux, flottaient en désordre autour de ses tempes. Troublée par cette rencontre inattendue, Nella resta immobile, contemplant à travers les branches épineuses le visage noble et gracieux de sir Edgar. La crainte de l’éveiller et d’être découverte par lui tenait Nella clouée à la même place ; elle se glissait sous le buisson, en s’y cachant comme le faisan de l’Himalaya, qui se blottit contre terre pour éviter le regard de l’aigle aux serres puissantes. Tout à coup la voix lointaine de Gaôrie, qui se rapprochait d’elle en la cherchant toujours, fit tressaillir la jeune fille ; elle se retira doucement de sa cachette, et s’appuya sur ses mains pour faire le moins de bruit possible en se relevant. Quand elle fut debout, elle ne put résister au désir de jeter les yeux une fois encore sur le jeune chasseur endormi ; à ce moment, un serpent de l’espèce la plus redoutée, un cobra-di-capello, roulant ses anneaux avec cette lenteur défiante qui caractérise les reptiles, se mit à ramper vers sir Edgar. L’animal n’avait point sa vigueur habituelle. La température n’était pas assez chaude pour lui ; cependant il flairait une proie et s’avançait résolument vers le chasseur. Nella vit le danger et elle se sentit prise de vertige. Le reptile touchait presque le visage de sa victime ; une minute encore, et sa dent pointue allait verser dans les veines de sir Edgar un poison mortel, éveiller le chasseur, c’était l’exposer à faire un mouvement qui l’eût perdu ; il pouvait heurter du front ou toucher de la main la tête menaçante du reptile, qui, s’animant par degrés, gonflait son cou et l’élargissait d’une façon démesurée. Alors, faisant appel à son courage, — à ce courage de femme, qui part du cœur, — Nella s’élança vers le cobra-di-capello ; elle l’excita en agitant son mouchoir, et attira sur elle son attention et sa colère. Surpris de cette brusque attaque, le reptile, qui s’était dressé sur sa queue, bondit vers la jeune fille. Celle-ci recula, mais la bête furieuse s’attachait à sa poursuite ; épouvantée, transie de frayeur, Nella poussa un cri. Sir Edgar, subitement arraché à son sommeil, se leva et saisit son arme ; il comprit bien vite le danger que courait la jeune fille, le coup partit, et le serpent criblé de plomb expira sur la poussière.

— Grand Dieu ! s’écria sir Edgar en saisissant la main de Nella, quel bonheur que je me sois égaré en chassant ! C’est la Providence qui m’a conduit ici tout exprès pour vous délivrer de la dent de cet affreux reptile !