Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son mal, il vint trouver le capitaine Mackinson, celui-ci, effrayé de la couleur livide de son visage, lui dit en lui serrant la main : — Mon ami, il en est temps, partez !

Deux jours après, sir Edgar, assis sur le pont du trois-mâts l’Euphrate faisant voile pour l’Europe, jetait un regard d’adieu vers la terrasse de la maison hospitalière où il avait trouvé un accueil si cordial. Le capitaine Mackinson se promenait à cheval sur le rivage ; près de lui, sa chère fille Nella galopait, montée sur un poney fringant Le voile bleu de la jeune amazone, agité par la brise, la rendait plus visible encore. Lorsque le navire, après avoir doublé la pointe de l’île de Colabah, mit le cap au large, miss Nella lança son cheval dans la mer, lui fit faire une courbette, et, exécutant une volte hardie, courut rejoindre son père. Sir Edgar, qui tenait une longue-vue dirigée vers elle, se sentit ému et attendri ; il maudit la fièvre qui le forçait à quitter ce rivage, et bénit la jeune fille qui avait eu la loyauté de l’en chasser. Comme il arrive toujours quand on s’éloigne d’un pays qu’on ne doit plus revoir, le souvenir des jours qu’il y avait passés se retraçait à son esprit comme un doux rêve. Il lui sembla qu’il laissait sous les palmiers de Colabah une partie de lui-même. Tant que ses yeux purent distinguer miss Nella, il les tint fixés sur la plage, et il se rappelait le jour où, pour la première fois, elle lui était apparue sur le pont du bholia, vive, alerte et comme reflétant en elle tout ce qu’il y avait de grâce et de fraîcheur dans cette matinée d’hiver sous le ciel des tropiques. Peu à peu le navire qui l’entraînait vers la haute mer déroba à sa vue miss Nella ; mais celle-ci apercevait encore la masse blanche des larges voiles glissant comme un nuage au-dessus des eaux. Cette fois ce n’était plus le vague désir de connaître l’Europe qui faisait battre son cœur ; ce navire, qui allait bientôt s’effacer dans l’espace, emportait celui en qui elle avait cru trouver l’idéal du gentleman accompli, et désormais pour elle l’Europe, avec le prestige de sa civilisation brillante, se résumait dans la personne de sir Edgar.

Le soleil était couché, et Nella se promenait toujours le long du rivage, suivant de loin son père, qui faisait galoper son cheval sur le sable. La brise avait cessé de souffler ; les voiles des grands navires et des petites barques demeuraient immobiles à travers l’immensité de la mer, qui poussait vers la rive de petites vagues gémissantes. Quand la nuit fut arrivée, le capitaine Mackinson et sa fille rentrèrent pour prendre le thé. Celle-ci se plaça devant la tablé sans rien dire ; elle était triste et distraite. La bonne Gaôrie, qui se tenait debout derrière elle, lui disait tout bas : — Mange donc, petite Nella ! — Mais la jeune fille secouait doucement la tête et laissait le chaud breuvage se refroidir sans y toucher.