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Ce goût vient, mais lentement ; il n’y a point là-dessus d’illusions à se faire. Plus prononcé dans les villes, qui en ont recueilli de prompts et bons effets, il reste très émoussé dans les campagnes, où les meilleurs plans échouent devant une force d’inertie qui reparaît quand on la suppose vaincue. En matière d’instruction primaire, la distance est grande entre les apparences et les réalités. De ce que le nombre des élèves s’accroît, il ne s’ensuit pas que la culture des esprits réponde dans les mêmes proportions à cet accroissement. Les chiffres, fussent-ils exacts, n’ont qu’une signification relative ; ils se composent d’unités équivalentes dans lesquelles s’absorbent et se masquent de grandes inégalités. De là une source de mécomptes. N’est-il pas constant que les vérifications qui accompagnent le recrutement militaire donnent chaque année un démenti aux approximations numériques basées sur les tableaux officiels de l’enseignement, et que là où on ne devrait trouver que 18 ou 20 pour 100 d’illettrés, il s’en rencontre de 35 à 40 pour 100 ? De telles différences qui affectent les résultats inspirent involontairement des doutes sur la bonté de l’instrument ou tout au moins sur les dispositions de la communauté où il s’exerce. Un contrôle sérieux, s’il était possible, groupe par groupe, tête par tête, fournirait de bien autres sujets de désappointement. Dans le cours d’enquêtes récentes que l’Institut a bien voulu me confier, j’en ai fait moi-même l’épreuve sur quelques villages non de l’ouest et du midi, que des dialectes particuliers tiennent forcément en retard, mais de la partie de la France qui parle le plus habituellement notre langue. J’ai été surpris et affligé de voir combien peu d’individus au-dessus de vingt ans y savaient lire et écrire ; on les citait comme des exceptions. Parmi les illettrés, je pus m’en assurer, plusieurs avaient passé par les écoles. En Angleterre, dans les comtés de Lancastre et de York, en Écosse, dans le comté de Lanark, j’ai continué cette recherche : sur tous ces points, elle m’a présenté des résultats plus favorables. Qu’il faille l’attribuer en partie à la race, à la tradition, même au climat, c’est ce qui est démontré jusqu’à l’évidence ; mais à côté et au-dessus de ces influences il y a celle des méthodes, et ici on est naturellement conduit à des comparaisons.

L’enseignement en France s’est mis et a dû se mettre en harmonie avec les institutions qui nous régissent. Il relève d’une autorité centrale d’où tout part et où tout vient aboutir, qui pour les : moindres détails garde le premier et le dernier mot, et ne se dessaisit même jamais des pouvoirs qu’elle délègue. Des amendemens qui remontent à douze années ont pu modifier ce régime ; l’expérience est faite, ils n’en ont point altéré l’esprit. Aujourd’hui comme autrefois, l’enseignement officiel supporte avec impatience et voit