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des deux sexes y participent dans la mesure de leurs forces et de leurs dispositions naturelles ; les femmes traînent des charrettes à bras comme les hommes, les enfans s’appliquent à de petits commerces qui sont des déguisemens de la mendicité ; toute la tribu marche, agit, se disperse, pour se retrouver au campement quand la besogne quotidienne est achevée.

C’est dans ces lieux et sur cette population qu’un desservant zélé, M. Rogers, entreprit, il y a quelques années, d’opérer des réformes. Aucune tâche n’était plus rude. Non-seulement l’ignorance était dominante parmi ses ouailles, mais elle y était en honneur ; une peuplade des mers du sud eût été moins étrangère aux notions du bien et du mal et aux mouvemens de la conscience ; elle se fût prêtée de meilleure grâce à une discipline et à un amendement. M. Rogers, dans l’ordre de ses devoirs, fit d’abord un appel au sentiment religieux ; il essuya l’échec le plus complet. Le dimanche était pour ces brocanteurs le jour des bonnes recettes ; ils suivaient les foules et y trouvaient des occasions d’y trafiquer ou d’y jouer des mains aux dépens des bourgeois. En vain leur réserva-t-on des places dans l’église, ces places restèrent vides presque toujours. De loin en loin, à force d’instances, le pasteur pu ses aides en décidaient trois ou quatre à faire acte de présence pendant les offices. On les voyait un dimanche ou deux, puis ils reprenaient leur volée pour ne plus reparaître ; quelquefois, pour se dérober aux obsessions, ils changeaient de logement ou demeuraient plusieurs semaines sans mettre les pieds dans leur gîte. Les conférences particulières, les visites n’étaient pas épargnées ; les missionnaires, les lecteurs des Écritures saintes, les membres du clergé dissident se succédaient dans ces taudis, sans y être plus heureux dans leurs efforts. Quelques exceptions tout au plus tranchèrent sur cette suite d’avortemens ; mais dans ce cas la conversion ne restait pas incomplète et avait pour conséquence le déplacement de celui que la grâce avait touché. Revenu à de meilleures habitudes, la première impression qu’il éprouvait était une répugnance profonde pour le monde dont il était entouré ; il en rougissait, il le prenait en horreur, et ne respirait librement que lorsqu’il s’était éloigné de ces régions doublement infectées. Le pasteur travaillait ainsi à diminuer son troupeau et voyait s’échapper de ses mains le meilleur instrument de réforme, le bénéfice des bons exemples.

De guerre lasse, M. Rogers modifia alors ses plans. Il lui était démontré qu’il n’aboutirait à rien de satisfaisant vis-à-vis de ces hommes et de ces femmes dont le sens moral était perverti, et que leur âge et des habitudes enracinées rendaient inaccessibles à d’autres impressions. Il avait épuisé les conseils, les prières, les menaces ; aucun de ces cœurs n’avait été touché ; les traits les plus