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des idées de la révolution, qui, généralement n’avaient plus de foi en leur ministère, furent obligés de renoncer à des fonctions qui les avaient déjà elles-mêmes quittés, et que telle était la situation de Joseph Le Bon à Neuville-Vitasse lorsque arriva la nouvelle de la catastrophe du 10 août. »

Ainsi s’exprime M. Emile Le Bon pour expliquer l’apostasie de son père ; mais je dois faire remarquer que les généralités par lesquelles il semble éluder des explications plus précises ne sont pas complètement exactes. Au 10 août et longtemps même après, l’église constitutionnelle, quoique très peu florissante, était encore debout ; les évêques, les curés, occupaient leurs sièges, à l’exception de ceux qui avaient jugé à propos de les abandonner. C’était donc volontairement que Joseph Le Bon avait renoncé à ses fonctions sacerdotales, et on peut présumer qu’il y fut en partie déterminé par son affection pour une de ses cousines, qu’il épousa peu de temps après, le 5 novembre 1792, et à qui il devait porter jusqu’à la fin de sa vie le plus tendre attachement.

Lancé complètement dans la révolution par sa renonciation aux devoirs de l’état qu’il avait naguère embrassé avec tant d’ardeur, il fut élu député suppléant à la convention, ce qui ne l’appelait pas à y siéger immédiatement, et aussi maire d’Arras. Le 16 septembre, il prit possession de la mairie par une proclamation remplie de déclamations patriotiques. La république était fondée, mais il n’était pas encore décidé si la domination appartiendrait aux républicains modérés, les girondins, ou à leurs terribles adversaires, les jacobins. Après les massacres de septembre, une réaction s’était produite qui semblait promettre la victoire aux girondins, et ils avaient en effet la majorité dans la convention, non encore asservie par les violences populaires. Ce n’était pas seulement à Paris, c’était dans toute la France que cette lutte était engagée. Le Bon appartenait alors au parti de la modération, de la modération relative, bien entendu. Deux émissaires de la commune de Paris s’étant transportés à Arras, après les septembrisades, pour en provoquer l’imitation, et leur présence ayant excité une agitation dangereuse jusque dans le sein du conseil municipal, il n’hésita point à les faire arrêter et à les expulser. On dit qu’en cette circonstance il exposa trois fois sa vie pour la cause de l’ordre et de l’humanité. Le girondin Roland était ministre de l’intérieur, Le Bon lui écrivit pour lui demander l’envoi de ces brochures par lesquelles on s’efforçait alors, avec plus de zèle que de succès, de calmer, d’éclairer les esprits ; mais à ce sujet il se trouva en dissentiment avec le conseil municipal, où dominait le parti ultra-révolutionnaire. Ce parti, n’osant attaquer directement Le Bon, dont la popularité était bien établie, imagina, pour lui enlever la mairie, dans laquelle il contenait les anarchistes,