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faiblesses ! Le saint amour de l’égalité serait moins puissant sur nous que les abus et les chimères de la royauté sur les aristocrates !… Non, non, les revers ne feront qu’agrandir nos âmes… »

Je citerai encore un passage d’une lettre qui me paraît remarquable par la sincérité qui y règne, par cette placidité que l’on s’étonne de trouver chez un criminel non repentant. « J’ai un conseil très utile à te donner dans le cas où tu recouvrerais ta liberté : c’est de bannir de ton cœur toute espèce de haine contre les auteurs de nos maux. Le ressentiment ne soulage pas ; au contraire, il aigrit les plaies. Ne regarde pas comme mes ennemis tous ceux que la crainte ou l’intrigue ont entraînés ; ce serait trop exiger que de condamner jusqu’à la faiblesse. » Supposons, à la place du sanglant proconsul d’Arras et de Cambrai, un homme de bien, un vrai patriote, proscrit par la haine d’un parti et par l’aveuglement d’un peuple égaré : tout cela serait grand, généreux, vraiment beau. De la part de Le Bon, ce langage semble dérisoire. Et cependant il est permis de croire qu’il était en ce moment de bonne foi, bien entendu de cette bonne foi incomplète qu’enfante le fanatisme, et qui ne change pas la nature morale des actions humaines.

C’est le 26 fructidor que commença, suivant l’expression de Le Bon lui-même, le dernier acte de la tragédie. Il comparut devant le tribunal criminel. Les débats durèrent près de vingt jours. On entendit de nombreux témoins, qui étaient en grande partie les parens de ses victimes. Il n’avait pas eu la force d’écrire sa défense, mais il répondit de vive voix sur les divers points de l’accusation. Le 12 vendémiaire, cent trente-six questions furent posées au jury. Presque toutes ayant été résolues affirmativement, Le Bon fut condamné à mort comme assassin.

Tout semblait terminé, et cependant une chance, sinon de salut, au moins de sursis, sembla encore s’offrir à lui. La convention, qui touchait à ses derniers jours, venait de promulguer la constitution de l’an III, dont un article mettait fin à toutes les lois d’exception, et par conséquent à la loi d’après laquelle on l’avait traduit devant un jury spécial, en lui enlevant le droit de recours en cassation. Au moment de la clôture des débats, avant que le jury ne se fût retiré pour délibérer, l’accusé avait demandé qu’en cas de condamnation, la voie du recours en cassation lui fût réservée, et que si le tribunal ne croyait pas pouvoir statuer à cet égard, il en référât à la convention et suspendît le jugement. Le tribunal, sans suspendre le jugement, renvoya la décision sur cette question délicate à la convention. Le 21 vendémiaire, cette assemblée passa à l’ordre du jour par le motif que la constitution n’était pas encore en activité. Le 24, c’est-à-dire le 15 octobre 1795, l’arrêt de mort reçut son exécution.