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En ce moment néanmoins, la convention, victorieuse dans la lutte qu’avait engagée contre elle la population parisienne pour la contraindre à laisser pleine liberté au mouvement électoral qui devait la remplacer, était rentrée jusqu’à un certain point dans la voie révolutionnaire ; mais ce revirement, qui sauva beaucoup de conventionnels terroristes livrés à la justice, ne profita pas à Le Bon, parce qu’il était déjà jugé, parce qu’il n’avait pas d’amis, de protecteurs parmi les hommes influens du parti, enfin parce que ce parti trouvait commode, pour dégager autant que possible sa responsabilité, de le traiter, aussi bien que Carrier et Fouquier-Tinville, comme un bouc émissaire sur qui on rejetait tous les crimes du comité de salut public et de la convention.

Il resta jusqu’à son dernier moment tel qu’on l’avait vu pendant les quatorze mois de sa captivité. Pendant que le jury était en délibération, il écrivait à sa femme : « Les jurés vont prononcer sur mon sort ; si la majorité d’entre eux est patriote, je ne peux pas ne pas être absous. Si cette majorité est ennemie de la révolution, je crois avoir servi la cause de la liberté de manière à ne pas être épargné… La déclaration à intervenir est encore incertaine ; mais attends toujours plutôt une mauvaise qu’une bonne nouvelle, et regarde cette lettre comme une lettre d’adieu. » Il lui rappelait ensuite le bonheur dont ils avaient joui ensemble pendant deux ans, et qui leur avait donné lieu d’espérer, une longue suite de jours prospères. « La Providence, ajoutait-il, en a disposé autrement ; garde-toi de maudire ses desseins et de t’abandonner à d’indignes douleurs. Il st vrai, que, sans ce zèle ardent pour le triomphe, de la liberté dont brûlaient nos deux cœurs, nous serions encore l’un près de l’autre, jouissant d’une douce et tranquille félicité ! Mais regretterais-tu les sacrifices offerts à la patrie ?… Ce n’est pas l’exécution des mesures révolutionnaires que l’on poursuit dans ma personne ; combien d’autres en ont fait autant et même plus ! C’est cette probité sévère et intraitable qui ne sait aucunement composer avec le crime et dont le seul aspect jette l’alarme dans le cœur des hommes corrompus qui ont trahi la cause populaire… J’attends de mes amis qu’ils vengeront ma mémoire et suppléeront par des ouvrages énergiques à ce que je n’ai pu moi-même consigner dans ma défense. Le patriotisme ne sera pas toujours opprimé, il sortira plus brillant de ses ruines ; conserve-toi pour ces temps fortunés ;… prépare nos enfans aux devoirs qu’ils auront à remplir lorsque la liberté réclamera leurs services… Je te recommande mon vieux père ;… soulage-le comme je l’aurais fait moi-même ; tiens ma pace envers toute la famille, dont j’embrasse tous les membres en leur souhaitant la concorde et l’union pour adoucir leur malheur. Embrasse pour moi