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Du Sérail de Chardin, de la coiffure à la Sultane, des Mille et une Nuits (1704). Elles comparent l’ennui de Versailles à ces paradis d’Orient.

Bientôt (1710-1720) commence le règne du café indien, abondant, populaire, relativement à bon marché. Bourbon, notre île indienne, où le café est transplanté, a tout à coup ce bonheur inouï. Ce café de terre volcanique fait l’explosion de la régence et de l’esprit nouveau, l’hilarité subite, la risée du vieux monde, les saillies dont il est criblé, ce torrent d’étincelles dont les vers légers de Voltaire, dont les Lettres persanes nous donnent une idée affaiblie. Les livres, et les plus brillans même, n’ont pas pu prendre au vol cette causerie ailée, qui va, vient, fuit insaisissable. C’est ce génie de nature éthérée que, dans les Mille et une Nuits, l’enchanteur veut mettre en bouteille ; mais quelle fiole en viendrait à bout ?

La lave de Bourbon, pas plus que le sable arabique, ne suffisait à la production. Le régent le comprit, et fit transporter le café dans les puissantes terres de nos Antilles. Deux arbustes du Jardin du Roi, portés par le chevalier de Clieux, avec le soin, l’amour religieux d’un homme qui se sentait porter une révolution, arrivèrent à la Martinique, et réussirent si bien que cette île bientôt en envoie par an dix millions de livres. Ce fort café, celui de Saint-Domingue, plein, corsé, nourrissant aussi bien qu’excitant, a nourri l’âge adulte du siècle, l’âge fort de l’Encyclopédie. Il fut bu par Buffon, par Diderot, Rousseau, ajouta sa chaleur aux âmes chaleureuses, sa lumière à la vue perçante des prophètes assemblés dans « l’antre de Procope, » qui virent au fond du noir breuvage le futur rayon de 89.

L’immense mouvement de causerie qui fait le caractère du temps, cette sociabilité excessive qui se lie si vite, qui fait que les passans, les inconnus, unis par le café, jasent et s’entendent tout d’abord, quel en était l’objet, le but ? Les petites oppositions parlementaires et jansénistes ? Oui sans doute, mais bien d’autres choses. Les Nouvelles ecclésiastiques, toujours poursuivies, jamais prises, piquaient quelque peu le public. Tout cela pourtant fort secondaire. On était excédé de théologie. Les pédans jansénistes, fort cruels pour les protestans, pour les libres penseurs, n’intéressaient guère plus que les molinistes fripons. La « grâce suffisante » et le « pouvoir prochain, » tout ce vieux bric-à-brac de l’autre siècle rentrait au garde-meuble. On parlait bien plutôt de Law, de son ascension singulière, de la république d’actionnaires qu’il entreprenait de créer. On parlait du café, de la polygamie, orientale, des libertés du monde anti-chrétien ; tout cela mêlé et brouillé. Cette France si spirituelle ne sait pas plus de géographie que de calcul ou d’orthographe. Beaucoup mettent l’Asie à l’Occident ; trompés par le mot