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armes. Aux motifs de prudence qui nous dictaient cette précaution se joignait pour nous le désir de procurer à nos hommes un exercice salutaire. Notre visite, nos intentions toutes pacifiques furent d’ailleurs annoncées au chef de la tribu par nos capitaines de rivière, qui presque tous parlaient ou du moins comprenaient l’arabe.

Le lendemain matin, dès cinq heures, nous étions en route, sans crainte pour nous (nos précautions étaient prises), et aussi sans penser que cette visite au camp de nos alliés, annoncée d’avance, allait leur causer une terreur profonde. Ceux-là seuls croient à la sincérité qui sont sincères, et nous jugions les Maures avec nos propres idées. Arrivés à une demi-lieue du camp, nous entendîmes les bruits les plus étranges : bêlemens des bœufs et des moutons que leurs bergers poussaient devant eux, cris des chameaux que l’on chargeait à la hâte, voix des hommes qui s’appelaient. Les battemens du tam-tam et les sons rauques et prolongés d’une espèce de cornet à bouquin dominaient tout ce tapage. — Les Maures croient à une razzia, me dit Youssouf ; si nous avançons encore, la poudre parlera. — Dieu nous en garde ! — Et je fis faire halte. Mes matelots riaient et plaisantaient à qui mieux mieux ; mais les laptots, sérieux et graves, regardaient alternativement leurs fusils et leurs deux capitaines. Évidemment ils croyaient, comme les Maures, à une razzia, et ils s’en réjouissaient, tout en pensant qu’elle était singulièrement conduite. L’arrivée d’un guerrier maure fit cesser toute équivoque. Monté sur un de ces petits chevaux si lestes et si agiles avec lesquels ils franchissent les distances les plus considérables, la tête nue sous les rayons du soleil, qui en l’éclairant faisaient ressortir l’énergique et rude expression de sa physionomie, le fusil à deux coups dégagé de son étui et posé en travers de la selle, il sortit tout à coup d’un épais bouquet d’arbres, derrière lequel sans doute il épiait depuis longtemps notre petite colonne. Forçant son cheval à marcher au pas, il s’avança lentement vers nous, et, quand il fut à portée de voix, demanda à parlementer. Youssouf prit à l’instant mes ordres, s’avança gravement aussi, et après quelques pourparlers revint confirmer par son rapport les assurances que lui avait suggérées sa vieille expérience du pays. — Le chef vous prie de ne pas avancer, si vos intentions sont pacifiques. La tribu lève le camp, les guerriers sont à cheval. — Nous n’avancerons pas, nous partirons dans quelques instans, quand nos hommes seront reposés. — Habitué sans doute à notre manière de combattre, le guerrier qui était venu nous reconnaître comprit à nos allures que rien n’était plus vrai que nos déclarations. Il mit pied à terre, vint jusqu’à nous, et après une cordiale poignée de main rejoignit le camp, où bientôt s’éteignirent un à un tous les bruits qui l’emplissaient naguère. Quelques guerriers à pied et le fusil dans l’étui, des femmes