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esclaves sans doute, des enfans, apparurent bientôt, et grâce à quelques galettes de biscuit, à quelques cartouches que nos hommes leur distribuèrent, les relations les plus amicales s’établirent entre les deux partis. À dix heures, nous rentrions à bord de l’Etoile, ne regrettant que médiocrement l’insuccès de notre visite, et satisfaits d’ailleurs d’avoir pu juger par nous-mêmes de la terreur que nos dernières expéditions ont jetée dans l’esprit de ces tribus, si fières, si insolentes naguère. À bord cependant une surprise nous était réservée. Profitant de la panique produite par notre visite dans le camp de la tribu maure, une esclave, une négresse de vingt ans, s’était enfuie, emportant dans ses bras son fils, âgé de quelques années, et, sans être aperçue de ses maîtres, franchissant la distance qui la séparait de nos navires, elle était venue se réfugier à bord de l’Etoile. À peine étions-nous assis, M. Lescazes et moi, qu’elle se précipita à nos pieds, nous parlant d’une voix entrecoupée de sanglots, sans que nous pussions nous expliquer ce qu’elle nous demandait avec tant d’animation. Mis au fait par Youssouf et convaincu, par son témoignage et celui de plusieurs laptots, que la fugitive était du village de Brenn, dans le Oualo, et par conséquent Française, puisque le Oualo a été annexé à nos possessions à la suite de nos guerres contre Mohamed-el-Habib, je n’avais plus qu’à me conformer à nos lois. Je lui déclarai en conséquence qu’elle serait libre tant qu’elle serait à bord de l’Etoile, mais que seul le gouverneur, le bouroum n’dar, pouvait décider de l’avenir. Le commissaire enregistra sur le rôle du bord le nom de Fatimata N’Diop, et tout fut dit. Les Maures d’ailleurs ne réclamèrent pas leur captive, l’incident n’eut pas de suites pour le moment. En devait-il être ainsi pour l’avenir ? Peut-être la meilleure réponse est-elle la conversation que j’eus avec le gouverneur en lui rendant compte de mon premier voyage dans le fleuve. — Comment avez-vous accueilli cette fugitive ? Il fallait l’empêcher de monter à votre bord. L’exemple sera contagieux : à votre prochain voyage, vous aurez à recevoir tous les captifs des deux rives. — Si ce sont les esclaves des provinces françaises, s’ils viennent réclamer l’appui de la France, puis-je leur refuser cette protection ?… Certes, monsieur le gouverneur, je les recevrai tous, à moins d’un ordre par écrit émanant de votre autorité. — Comment voulez-vous que je vous donne un pareil ordre ? — Comment voulez-vous que je l’exécute, si vous ne voulez pas ou plutôt si vous ne pouvez pas me le donner ?… — Et nous parlâmes de Tébécou, de la tour en construction, des autres événemens de mon voyage.

S’il est un homme que les convictions de toute sa vie, l’élévation de son caractère, la générosité de son âme, font un des ennemis les plus sérieux et les plus ardens de l’esclavage, c’est M. le colonel