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lations qui s’y livrent les germes de la dégradation et de l’abrutissement les plus abjects. Les Sousous, les Papels, les Landoumas, les Nalous, les Balantes, toutes ces races que les conquérans peuls du Fouta-Dialon chassent devant eux, et qu’ils refoulent vers la mer, étaient les principaux courtiers et aussi les principales victimes de cet odieux trafic. Tous justifient cette assertion par leur ignorance, leurs superstitions grossières, leurs habitudes de pirateries, de vols et de brigandages, leur abandon grossier aux plus honteuses passions de l’humanité, qu’un tel état de choses soit dû à la traite des noirs, cela est d’autant moins douteux que tous ces peuples, sous l’influence nouvelle qui prédomine aujourd’hui dans ces pays, tendent à sortir de cet antique état de torpeur et de dégradation.

On vit s’accomplir en effet une transformation rapide dans les relations de ces peuples avec les Européens lorsque les deux grandes puissances de l’Occident résolurent l’abolition de la traite, et cette transformation devait produire une révolution analogue dans les mœurs locales. Malgré les protestations de la cour de Lisbonne et des écrits où le patriotisme le plus sincère s’unit au savoir le plus ingénieux[1], les prétentions du Portugal furent réduites à leur juste valeur. Toutes ces rivières furent fermées aux négriers, que les croiseurs anglo-français traquèrent sans miséricorde et sans trêve ; elles s’ouvrirent aux navires de tous les pays, cherchant dans l’échange des produits manufacturés de l’Europe contre les productions naturelles de l’Afrique de légitimes avantages. Partout s’élevèrent des factoreries à la place des baracoons où venaient autrefois s’entasser des milliers d’esclaves. Telles furent la rapidité, la sûreté des mesures prises, que la traite était déjà impossible sur la côte alors que les expéditions de l’intérieur se continuaient encore. Des caravanes d’esclaves arrivaient aux marchés de Zinguinchor en Cazamance, de Kakandi dans le Rio-Nuñez, dans les escales de tous les fleuves, et nul aventurier, nul marchand de bois d’ébène. n’osait les acheter, même à vil prix, tant la surveillance des croiseurs était active, tant les lieux de débarquement étaient bien gardés, tant les négriers étaient sûrs de voir leur passage intercepté vers les grands marchés du Brésil, des Antilles espagnoles, des états à esclaves de la confédération américaine. Les golfes de Bénin et de Biaffra, les côtes ouest de l’Afrique australe, où une surveillance aussi grande était impossible, devinrent désormais le théâtre de leurs coupables entreprises.

  1. Voyez les travaux de M. le marquis de Santarem sur les découvertes des Européens en Afrique.