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remplacés sans se douter de la solidarité terrible qu’ils acceptaient aux yeux d’ennemis inconnus. Cette situation, analogue à celle de presque tous les pays où la civilisation européenne se heurte contre la barbarie, rappelle dans de moindres proportions celle du far-west de l’Amérique du Nord, du transwald et des boers de l’Afrique australe. Quelques jours avant notre arrivée dans le Rio-Pongo, le principal traitant français de cette rivière avait été saisi, emmené en captivité, mis à rançon par le chef d’une tribu voisine. Loin de se plaindre de ce traitement, il affirma que tout était calme dans le pays, que rien n’y appelait l’intervention française. Ce ne fut qu’indirectement que les événemens où il avait joué un tel rôle nous furent connus. Quels motifs lui dictaient ce silence ? Était-ce le sentiment de ses torts réels envers le chef qui l’avait si rudement traité ? Était-ce la crainte de l’avenir ou la pensée de se venger lui-même ? Qui peut juger des idées que vingt années d’isolement au milieu de peuplades sauvages avaient introduites et fixées dans cet esprit ? Ce type bizarre n’était d’ailleurs pas le seul qui s’offrît à nos études. Au fond de la même rivière, dans une espèce de citadelle très bien fortifiée, la veuve d’un négrier, reine de quatre mille esclaves qui, venus de l’intérieur, cultivaient ses vastes domaines, attendait, les mèches de ses canons allumées, la venue des croiseurs anglais, auxquels elle contestait tout droit de visite dans son petit royaume. Dans le parc qui entoure cette villa fortifiée, une gracieuse miss aux cheveux blonds se promenait un livre à la main. Était-ce un roman de high-life qui lui parlait de l’Europe et de ses bruyans plaisirs, ou bien nourrissait-elle son imagination, exaltée par le soleil de l’Afrique, de la sombre poésie de Lara et du Giaour ? Nous n’eûmes pas le plaisir de la voir quand nous présentâmes nos respectueux hommages à sa grand’mère, l’intrépide veuve du négrier ; mais un gracieux souvenir vint rappeler au gouverneur, dès qu’il fut de retour à Saint-Louis, la jeune et charmante rêveuse du Rio-Pongo.

Quoi qu’il en soit, les élémens de troubles que nous venons de reconnaître dans les mœurs et les passions d’une partie des traitans européens ne sont pas les seuls dont il faille tenir compte. Le fanatisme religieux mahométan, qui a son foyer dans les grands empires peuls de l’intérieur, et qui, par le Fouta-Dialon, envahit rapidement tous ces pays, aussi bien que la barbarie des populations indigènes, entretient et augmente cette agitation. Vraies pour tous les pays que baignent les rios, ces observations s’appliquent surtout à nos provinces de la Cazamance, que les deux postes de Carabane, à l’entrée de la rivière, et de Sedhiou, au point où elle cesse d’être accessible à nos navires à vapeur, nous donnent le droit de regarder comme françaises malgré rétablissement portugais de Zinguinchor.