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chées. Soudain une troupe de guerriers, la lance à la main, couverts de grands boucliers en peaux d’éléphant et d’hippopotame, débouche sur notre droite d’un groupe d’arbres qui les avait cachés jusqu’alors ; serrés en colonne épaisse, poussant de grands cris, ils s’avancent lentement et en ordre ; bientôt ils ne sont plus qu’à dix pas de nous. Tant d’audace, tant de sang-froid font croire que ce sont des alliés. « Ne tirez pas ! » s’écrient quelques-uns de nous aux soldats qui apprêtent leurs armes, mais les guerriers se rapprochent, les lances volent ; le doute n’est plus possible : c’est le combat qui nous est offert. Un feu terrible répond aux cris de guerre des Thiong ; les balles traversent les boucliers derrière lesquels ils se croyaient sans doute invulnérables ; une vingtaine d’entre eux tombent mortellement frappés. Surpris, mais non découragés, les autres combattent encore. De nouvelles décharges jonchent le terrain de nouveaux cadavres, et bientôt, abordés à la baïonnette, ils fuient dans les bois d’où ils ont débouché.

D’aussi faciles succès, des luttes si inégales et si meurtrières, attristent l’âme et déconcertent les esprits les plus absolus. La justice d’une cause peut seule justifier la mort de tant de victimes ; du moins la justice de la cause que nous servions n’était-elle pas douteuse. Cette sévère leçon était nécessaire, mais elle allait au but que nous voulions atteindre ; aussi, par un sentiment d’humanité dont les suites furent fécondes, le magnifique village de Thiong, où nous entrions quelques instans après, fut-il épargné par nos soldats victorieux.

Cette clémence, la rapidité de nos succès, la modération et surtout la justice de nos demandes produisirent les meilleurs résultats. Dès que la flottille fut de retour à Carabane, les députations de toutes les tribus voisines, Djolas, FIoups, Balantes, accoururent auprès du commandant Laprade pour demander la paix, pour se placer même sous notre domination. Tous ces résultats furent consacrés par des traités successifs qui ont assuré pour longtemps la pacification de la basse Cazamance[1]. Le 18 mars, nous débarquions à Corée celles des troupes de la colonne qui avaient pris passage à bord de l’Étoile. Une grave avarie dans notre machine

  1. « Par un traité du 6 avril 1860, les Floups de Mlomp ont cédé à la France la pointe Sosor ou de Saint-George, de plus ils ont soumis leur territoire à la suzeraineté de la France. Les Djougoutes de Thiong en ont fait autant par un traité du 5 mai, les gens de Wagaram par un traité du 6 mai, les gens de Cassinol par un traité du 19, les gens de Blis par un traité du 18 juin, les gens de Baïat par un traité de la même date, les gens de Carone par un traité du 17 juin. » — Voyez à la suite du Journal des opérations de guerre (dans l’Annuaire de la colonie) le recueil des traités passés au Sénégal.