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avec l’activité suffisante. Le développement commercial de Dakar entraînera forcément pour Saint-Louis la perte de son titre de capitale de nos possessions. Située au centre même de nos établissemens, Dakar, avec sa rade toujours ouverte à tous les navires, héritera de l’importance politique dont les traditions plus que les intérêts de la colonie ont maintenu le siège à Saint-Louis.

Ces considérations, dont la justesse ne peut être contestée, échouèrent devant des intérêts d’un autre ordre. Time is money m’a semblé résumer la réponse que nous fit le représentant de la compagnie à Saint-Vincent, où l’Etoile vint attendre la Guienne, qui inaugurait la ligne nouvelle. Tout était fait à Saint-Vincent, tout était à créer à Corée. La compagnie ne pouvait attendre les deux années strictement nécessaires à l’achèvement des travaux de Dakar. Saint-Vincent fut choisi.

Toutes les îles de l’archipel du Cap-Vert sont d’immenses blocs de basalte, de laves, de scories, amoncelés les uns sur les autres. Brûlées des rayons ardens du soleil du tropique, dénudées par les grandes brises des alizés, qui semblent à leur approche redoubler de violence, elles n’offrent nulle part, si ce n’est dans quelques ravins profondément creusés, sur quelques points privilégiés, comme la Praya, une trace quelconque de végétation et de verdure. Partout l’œil n’aperçoit que des crêtes arides, taillées à pic, dentelées comme par des coups de hache gigantesques, au-dessus desquelles planent comme des points noirs les frégates aux ailes énormes, les fous, les pétrels, tous les oiseaux des grandes solitudes de l’Océan. Les volcans du Fogo encore en ignition, les cratères éteints qui dominent les cimes les plus élevées, révèlent l’origine de ces îles, que de violentes convulsions firent un jour surgir au-dessus des flots. Parmi elles, et la plus désolée de toutes, est Saint-Vincent, vers laquelle accourent aujourd’hui, comme à un des centres du monde, pour me servir de l’expression du poète, tous les vaisseaux de l’univers. Qui les attire ? L’île n’a pas même d’eau à leur offrir.

Quand, il y a une vingtaine d’années, la vapeur vint menacer d’une transformation complète les conditions de la navigation sur l’Océan, un négociant anglais, voyageur comme ils le sont presque tous, prévit les changemens aujourd’hui accomplis : il comprit que, dans les grandes traversées d’Europe et d’Amérique vers l’hémisphère austral, les navires à vapeur auraient besoin d’un port de relâche pour renouveler leurs provisions de charbon, et qu’ils viendraient tous là où cette relâche forcée serait la plus courte possible. La rade de Saint-Vincent fut choisie par lui : elle se trouvait au point où se croisent les principales routes de l’Atlantique, elle offrait aussi des mouillages sûrs. En quelques années, de vastes dépôts de