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plique pas la sujétion d’un pays. Mais nous devons prévoir ici une vive insistance de l’objection qui nous occupe, ou plutôt une face nouvelle et supérieure du sujet.

Le fait est que la centralisation n’est pas seulement la tutelle administrative des localités; c’est l’immixtion universelle de l’état, détruisant partout les êtres collectifs, corps, associations, compagnies, ordres, etc., substituant des services publics aux castes et à l’œuvre dont elles s’acquittaient, supplantant même ou dirigeant les forces privées. Qu’une capitale où se concentre l’opinion fasse contre-poids par là aux moyens d’influence concentrée entre les mains de l’état comme tuteur des localités, cela se conçoit à toute rigueur; mais, si la centralisation apporte elle-même ce remède à ce mal, par où guérira-t-elle ce mal autrement grave dont on l’accuse, qui consiste dans l’oppression, tout au moins dans l’absorption du pays? Ici des communes, et des communes libres, ont une raison d’être, comme obstacle à ces enlacemens, à cette invasion, comme réserve d’une force indépendante.

Je réponds tout d’abord, pour ne pas laisser un instant le lecteur sous l’accablement de ce doute, que, si la centralisation a détruit les êtres collectifs d’autrefois, elle a créé du même coup le citoyen et la nation, et substitué la force du droit commun à celle du privilège. Toutefois, avant d’exposer cette solution avec les développemens dont elle a besoin, il faut rendre le même service à l’objection. Pour cela, je ne puis mieux faire que de la prendre où elle éclate avec le plus de force et d’apparence, et je transcris un discours fameux de Royer-Collard, justement admiré, qui touche au sublime çà et là, où néanmoins la grandeur n’use pas toujours de son droit le plus précieux, celui d’être simple.

« Le temps fait les choses humaines et il les détruit; le progrès des âges avait élevé le vieil édifice de la société, la révolution l’a renversé. À cette grande catastrophe se rattache notre condition présente. C’est parce que les institutions se sont écroulées que vous avez la centralité, c’est parce que les magistratures ont péri que vous n’avez que des fonctionnaires. Le pouvoir central a fait la conquête du droit; il s’est enrichi de toutes les dépouilles de la société. Le gouvernement représentatif a été placé en face de cette autorité monstrueuse, et c’est à elle que la garde de nos droits politiques a été confiée. Le ministère vote par l’universalité des emplois et des salaires que l’état distribue. Il vote par l’universalité des affaires et des intérêts que la centralité lui soumet; il vote par tous les établissemens religieux, civils, militaires, scientifiques, que les localités ont à perdre ou qu’elles sollicitent, car les besoins publics satisfaits sont des faveurs de l’administration, et, pour les obtenir, les