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daient les castes, et l’on ne peut pas dire que leur dépouille a passé tout entière à l’état : un partage, remarquez-le bien, où les castes elles-mêmes ont un lot très reconnaissable, car ce serait préjugé de croire que la révolution les a dépossédées de tout point. Elle a respecté, elle a conservé, ainsi que nous le verrons, un débris notable d’indépendance chez le prêtre et chez le magistrat. Il semble qu’elle ait entendu cette parole de son tribun, murmurée dans les conseils qu’il faisait passer à la cour : Je ne voudrais pas avoir travaillé seulement à une grande destruction[1]. Il faut donc reconnaître une opération assez complexe en tout cela, plus sinueuse et plus variée qu’on ne l’imagine; mais il faut y distinguer surtout la plus grande chose qui se fit alors, l’œuvre capitale et monumentale de cette époque, c’est-à-dire la restauration, la découverte pour ainsi dire des droits humains, l’émancipation des blancs. Jusque-là, les castes étaient partout, avec un droit exclusif sur le sol, sur les fonctions publiques, sur le travail et même sur la prière. La révolution a détruit tout ce privilège, mettant ces choses au régime du droit commun, au concours de tous les efforts, à la portée de tous les mérites. Que vous en semble? Est-ce là dépouiller une société, ou bien l’enrichir et l’édifier plus haute sur de plus larges bases? Ajoutons avec la modestie convenable que la chose publique est au nombre des choses offertes aux poursuites, aux prises de l’individu, et que la révolution entendait le composer de pouvoir comme de liberté, de garanties comme de droits : son idéal du moins montait jusque-là.

Mais il faut voir cela de près et entrer dans le détail des choses.

Vers 88, nous trouvons debout, en fait d’êtres collectifs, — sous le nom d’ordres, castes ou compagnies, — les puissances que voici: église, noblesse, parlemens, universités, jurandes et maîtrises, communes, pays d’états. Or, la révolution arrivant, quel a été le sort de ces puissances? Qu’en est-il resté? Qu’en a-t-il péri? Ce qui en est resté, dans quel état et dans quelles mains le trouvons-nous? Quelles libertés individuelles ou quels services publics sont issus de ce qui en a péri?

L’église n’est plus un ordre votant l’impôt qu’elle accordait à l’état. L’indépendance qu’elle tenait de ses propriétés, elle l’a échangée contre un traitement payé par l’état; mais toute indépendance ne l’a pas quittée : elle demeure souveraine en ce qui touche la croyance, le culte, la discipline; aujourd’hui comme autrefois, elle ne relève à cet égard que d’elle-même.

La magistrature n’est plus propriétaire du droit de juger : elle a

  1. Voyez la correspondance de Mirabeau avec le comte de Lamarck.