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perdu son pouvoir législatif, son droit de remontrance politique et d’enregistrement en matière fiscale; toutefois elle a conservé quelque chose de son ancien état, l’inamovibilité du juge.

On pourrait dire que l’université n’a plus son privilège d’enseignement, mais qu’elle a conservé le droit d’enseigner concurremment avec les particuliers.

Restent certains êtres collectifs, noblesse, corporations industrielles, communes, pays d’états, qui ont perdu complètement leur ancien mode d’existence ou même l’existence. De la noblesse, il ne reste que les titres. Pour les localités, un régime uniforme a remplacé le droit qui naissait de certains titres particuliers. Les jurandes et maîtrises ont péri ni plus ni moins.

Cependant les castes avaient charge de la justice, de l’enseignement, du service religieux, du commandement militaire, et cela ne pouvait périr avec elles pour l’abus. qu’elles en avaient fait. Sans doute il y avait dans les anciennes forces tel exercice purement tyrannique : c’était l’exclusion du tiers-état en ce qui touchait certaines fonctions publiques; c’était l’exemption d’impôt réservée à la noblesse; c’était l’oppression des dissidens religieux; c’était l’obstacle au travail, obstacle qui naissait des corporations industrielles. Toute cette tyrannie a disparu et représente autant de liberté acquise aux individus. Mais en même temps il y avait dans le pouvoir des castes telle œuvre utile et nécessaire qui a survécu, tantôt attribuée à l’état et constituant un service public accessible à tous, tantôt laissée aux castes elles-mêmes avec une organisation nouvelle, comme ces droits du prêtre et du magistrat dont il était question tout à l’heure.

Tel est le compte exact de ce qui s’est passé, et nous savons désormais s’il est juste de dire que le pouvoir a fait la conquête du droit. Ce qu’il a conquis, c’est le privilège, et il ne l’a conquis que pour l’abolir dans ses tyrannies, pour le suppléer dans ses œuvres nécessaires. Comment le pouvoir se serait-il enrichi par là des dépouilles de la société? Il l’a comblée au contraire de biens qu’elle ignorait; il a redressé l’homme d’un bout à l’autre de son existence, du haut en bas de ses facultés; il a mis l’indépendance partout où pesaient l’entrave et l’exclusion, — dans la famille, qui n’a plus de cadets, plus de pères comme celui de Mirabeau, plus de nonnes sans vocation, — dans l’atelier, que chacun peut fonder, — dans les consciences, qui ne sont plus violentées, — dans le sol, qui n’est plus substitué, — dans l’état, que chacun peut servir, — devant le juge, qui applique à tous la même loi, selon les mêmes formes.

Dans cet écroulement, qui est quelquefois un simple déplacement