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de chercher les additions que notre fonds public, je devrais dire notre musée d’idées et de doctrines, a reçues de M. Michelet, de cet homme qui a plus contribué que pas un à remuer les esprits, à les relancer, à les éveiller comme par des éclats de trompette?

Cela est étrange, je le répète, et je me demande si cette influence, certainement fort grande, mais mal définie, ne tiendrait pas à ce que M. Michelet est trop poète, trop exclusivement poète du moins, à ce qu’il est tout imagination, tout émotion. Prenons-y garde; même involontairement, je ne voudrais pas prêter mon aide aux cris des impuissances et des sottises qui renvoient l’imagination aux contes de fées, qui, avec une marotte pour cadeau, prétendent la réduire au rôle des fous de cour ou de la vieille commère contant des histoires d’ogre aux petits enfans. Nulle part elle n’est plus précieuse, plus indispensable qu’en histoire. Les faits, on ne saurait trop le répéter, ne sont pas l’histoire; ils ne sont que les calques et les portraits partiels des anciennes manifestations de la vie, quelque chose comme les empreintes laissées sur les plages des mers disparues par les générations d’oiseaux qui les parcouraient. L’événement visible à toute époque est purement l’acte des forces actives qui vivent cachées dans les âmes individuelles. Les énergies invisibles, voilà les vrais acteurs, et il faut que, comme des fantômes, elles soient évoquées de leur retraite. Il faut que les ruines des mondes écroulés, mornes débris des vivans du passé, actes détachés de l’homme et des sentimens qui les ont produits, il faut que ces fragmens épars se rejoignent, que ces aspects retournent envelopper la substance qu’ils couvraient et révélaient, que ces souvenirs, ces simples connaissances de l’intelligence, deviennent des réalités qui parlent à tout notre être, existent pour notre cœur, et le prouvent en se montrant capables de nous inspirer de l’amour ou de la haine. Ce n’est pas tout encore : ces morts ressuscites d’une autre époque ont une nouvelle palingénésie à subir pour se nationaliser de notre siècle, pour prendre un sens et une valeur par rapport à nos besoins, nos préoccupations et notre science. Comme le prophète hébreu, l’historien doit voir à la fois dans chaque chose le passé et l’avenir, les influences qui l’ont amenée et les résultats qu’elle a produits plus tard. Il faut qu’il traduise en langue moderne les événemens et les caractères, qu’il les montre par ce qui faisait d’eux, à leur insu, des alliés ou des ennemis anticipés de nos propres entreprises. Ce multiple miracle, il n’y a que l’imagination qui soit capable de l’accomplir; seule, notre propre vitalité peut ranimer la poussière inerte. C’est seulement par un désir, une affection sortis de nous-mêmes, que nous pouvons ausculter dans un fait le désir qui y palpitait autrefois; c’est en nous y heurtant par une volonté qui remue en nous que nous sentons la volonté conforme ou con-