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madame. Quoique ce monsieur ne paraisse pas avoir tout à fait sa tête à lui, il vous a parfaitement dépeints. Je lui ai répondu que je ne savais point de quelles personnes il voulait parler; mais il affirme vous avoir vus monter... Je lui ai dit alors que j’allais m’informer...

— C’est lui, dit Clémentine, c’est lui!

Après s’être fait décrire l’étranger qui demandait à les voir, Ernest ne douta plus que ce ne fût Roger. — Il faut le recevoir, dit-il. Peut-être a-t-il véritablement à nous apprendre quelque chose qui nous concerne. Et si nous refusons, il pourrait faire un esclandre.

Il dit au garçon d’introduire l’inconnu.

Roger se présenta presque aussitôt. Il était très sérieux et très grave.

— Vous me pardonnerez ma conduite, fit-il en s’adressant à la fois à Ernest et à Clémentine, quand vous en connaîtrez les motifs.

— Parlez, monsieur, nous vous écoutons, répondit Ernest. Roger se recueillit, puis il regarda Ernest en face et lui dit : — Croyez-vous à la métempsycose ?

— Je vous avouerai, monsieur, que cette question ne m’a jamais beaucoup occupé.

— Eh bien! reprit Roger, moi, j’y crois. Le principe de la métempsycose est raisonnable. Aucun des élémens de ce monde n’est détruit par la mort. Ils se transforment simplement pour renaître. Si notre corps restitué à la terre la fertilise et produit les moissons, il est probable que l’âme, devenue disponible, trouve également un emploi. Toutefois je ne crois pas à la métempsycose telle qu’on l’admet généralement. Il y a eu jusqu’à présent deux opinions à ce sujet. Les uns, avec Pythagore et, en allant plus loin que lui, avec la philosophie hindoue, ont cru que l’âme, au sortir du corps humain, passait dans le corps d’un animal ou même dans un objet inanimé. Cela est sans doute ingénieux comme symbole. À ce point de vue, l’âme d’une homme inexorable peut être enfermée dans un rocher; on peut se figurer celle d’un usurier dans une éponge et l’âme impétueuse d’un conquérant dans le corps d’un lion. Au fond, cela est ridicule. L’âme, qui est une émanation divine, ne saurait déchoir. Elle ne peut donc, en passant dans le corps d’un animal, d’intelligence devenir instinct, et peut encore moins être condamnée à l’immobilité de la matière. Quant à l’autre système, plus logique il est vrai, il est encore incomplet. Il consiste à croire que l’âme d’un mourant va animer le corps de l’enfant qui entre dans la vie. De cette façon l’âme, par une évolution rétrograde, irait de la tombe au berceau. Pendant un certain nombre d’années, jusqu’à ce que la croissance des organes lui permît de se manifester, elle resterait sinon inerte, du moins endormie. Ce serait une force