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c’est l’harmonie des diverses classes de la nation, c’est la loi des rapports qui doivent exister entre ces classes, les unes riches ou aisées, les autres vivant de main-d’œuvre et de salaires; ce sont les devoirs nouveaux imposés aux premières, le rôle et la part d’influence qu’ont acquis aux autres les progrès rapides du bien-être, de l’éducation et de l’intelligence. A travers cette crise qui met en présence et aux prises les souffrances d’une portion de la société avec le bon sens et le bon cœur d’une classe plus favorisée, nous voyons probablement s’élaborer avec douleur, mais avec la vertu de la liberté, la solution du problème social de l’avenir. Le mérite de l’Angleterre en ce moment, la force morale de l’exemple qu’elle donne, c’est qu’elle n’a point reculé ou hésité devant ce problème. Les classes riches, chez elle, ont compris que, pour prévenir des maux dont la responsabilité principale retomberait sur elles-mêmes, elles devaient donner aux classes ouvrières dans leurs souffrances des preuves d’une sincère et active sympathie. Celles-ci à leur tour ont puisé dans les progrès moraux et matériels qu’elles ont accomplis une appréciation plus juste de leur situation, et supportent avec une admirable résignation des maux dont elles savent que personne n’est coupable. Faisons en sorte qu’il en soit de même en France.

Lorsqu’on arrive à Manchester, on ne peut, au premier aspect, se douter ni de la misère dont on est entouré, ni de la charité appliquée à la combattre. Dupe d’une illusion semblable, l’observateur superficiel qui parcourt les rues de Rouen taxe d’exagération les plaintes de la Seine-Inférieure. C’est seulement en voyant fonctionner les comités, en assistant à la distribution des secours, en visitant les établissemens publics et particuliers de bienfaisance, en allant chercher chez les ouvriers eux-mêmes le spectacle de leur ruine, que l’étranger peut, à Manchester, se faire une idée de l’étendue du mal et du zèle avec lequel on s’efforce de le combattre. Il ne doit pas oublier que Manchester, malgré son importance, n’est qu’une ville, tandis que la crise a frappé une province entière qui compte une dizaine de villes de cent mille âmes et une population de deux millions d’habitans. Afin de se rendre un compte plus précis et plus complet du phénomène de misère et de charité qui se produit en ce moment dans cette partie de l’Angleterre, il faut en quelque sorte aller de la charité à la misère, se servir de l’organisation qui préside à la bienfaisance comme d’un guide plus prompt et plus sûr pour arriver aux réalités de la détresse. Cette organisation, comme toute œuvre spontanée produite par les efforts individuels, a commencé par être imparfaite et compliquée. L’exemple de ses confusions et de ses incertitudes n’est pas fait, on le verra, pour nous décourager en France, et nous avertit de ne pas nous rebuter