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ment de chez les banquiers en paquets assez volumineux, et se trouvent de moment en moment présentées devant un pupitre entouré d’un de ces treillis de fil de laiton que l’on rencontre dans tous les bureaux d’affaires. La première question, on le devine, est de vérifier le billet. Qui ne sait en effet qu’il y a par le monde de vraies et de fausses bank-notes ? C’est en 1758 que se présenta devant les bureaux de la Banque d’Angleterre la première note contrefaite (forged) ; l’auteur du crime était un nommé Richard William Vaughan, fabricant de toile à Strafford. Depuis lors, les mêmes tentatives se succédèrent avec une constance déplorable. Un des plus célèbres faussaires anglais a été Charles Price. Comédien, valet, teneur d’un bureau de loterie, courtier-marron, joueur, il avait passé par tous les échelons qui devaient le conduire à de funestes exploits. Il apprit l’art de la gravure avec une rare persistance et beaucoup trop de succès, fabriqua lui-même son encre et son papier, tira ses notes avec une presse qu’il avait construite de ses propres mains, et contrefit à s’y méprendre la signature des caissiers. Maître de tous ces secrets, il répandit son papier dans la ville. En 1783, les caissiers de la Cité payèrent dans un seul jour jusqu’à quatorze notes fausses, de 50 livres sterling chacune. Quelques-unes de ces notes défièrent même plus d’une fois la perspicacité des employés de la Banque, tant elles étaient merveilleusement imitées : la fraude ne fut trop souvent découverte qu’après que les billets avaient été payés. Non content de contrefaire le papier-monnaie, Charles Price ne se montrait pas moins habile à déguiser son âge, sa personne, son nom, et à jouer tous les rôles. On rencontrait souvent dans les rues de Londres un homme qui avait l’air d’un étranger, traîné dans une voiture, avec les jambes enveloppées dans de la flanelle, un manteau boutonné autour de la bouche et un emplâtre noir sur l’œil gauche. Ce vieillard goutteux en apparence avait à son service un domestique qu’il s’était procuré par la voie des annonces, et qu’il envoyait, sans le perdre de vue, acheter çà et là un grand nombre de billets de loterie. Ce même serviteur était en outre épié à son insu par une femme qui le suivait dans la ville comme une ombre, qui marchait quand il marchait, qui s’arrêtait quand il s’arrêtait, et l’attendait à la porte quand il entrait dans un bureau. Cette femme était l’unique complice et la maîtresse de Charles Price. Les allées et venues du domestique donnèrent pour- tant l’éveil à la police : on l’arrêta, et il dit ce qu’il savait ; mais son maître avait déjà disparu comme un esprit de ténèbres, et les faux continuèrent de circuler. Price se partagea ensuite entre la fabrication de fausses notes et la falsification de notes réellement émanées de la Banque, mais auxquelles il ajoutait adroitement un ou deux