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reculé dans la voie où marche le génie des temps. Pure apparence assurément et qui ne durera pas ! pur effet des différences de niveau de la fameuse spirale dont nous suivons les contours ! Nous ne cessons pas d’avancer même en descendant, et le mouvement est moins ralenti qu’il ne semble. Il est cependant cruel d’avoir à reprendre des démonstrations que l’on croyait victorieuses, à replaider des causes ; vingt fois gagnées, et de trouver devant soi les adversaires que l’on pensait avoir laissés derrière. Rien de plus fastidieux que les vieilleries des nouveau-venus.


III

Trouvera-t-on l’humeur d’un morose censeur dans cette sévérité qui s’en prend tantôt à la critique, tantôt à la poésie, qui cherche querelle en même temps à l’observation et à l’imagination ? Heureusement le talent pardonne tout, excepté de ne l’admirer pas, et nous le reconnaissons jusque sous les armes qu’il tourne contre nous. Que n’est-il plus rare ou mieux inspiré ? Nos craintes mêmes sont un hommage à sa puissance ; elles viennent de la haute opinion que nous concevons du rôle de la littérature dans la société moderne.

Il y a, dit-on, deux pouvoirs, le temporel et le spirituel. Leur rivalité remplit l’histoire du monde. Il est aussi difficile de les séparer que de les unir, et chacun parle aujourd’hui de ce problème sans que d’un côté l’on réussisse à prouver que la réunion des deux pouvoirs soit bonne, ni de l’autre à démontrer que la séparation soit possible. L’expérience dépose contre l’une des deux thèses, et l’expérience manque à l’autre. Cependant, tous en tombent d’accord, au premier des deux pouvoirs il appartient de posséder la force, au second l’influence. Or, si l’influence distingue et caractérise l’action du pouvoir spirituel, ne pourrait-on pas dire que ce nom, pris dans le sens général, peut s’étendre à la littérature ? L’influence même du pouvoir spirituel, tel que le moyen âge l’a introduit dans l’histoire, ne s’exerce légitimement que par deux moyens, la parole et l’écriture. Lire et entendre, c’est ainsi qu’on s’y prend pour connaître et suivre une autorité religieuse. Or tous ces mots, écriture, parole, lire, entendre, ne sont-ils pas précisément les procédés et les moyens d’effet de la littérature, et celle-ci n’est-elle pas dans son action, aussi bien que la religion, l’influence de la pensée sur l’esprit par la parole ? S’adresser aux écrivains, c’est donc s’adresser aux grands dépositaires de l’autorité morale dans une société intelligente, à la puissance spirituelle elle-même. La hiérarchie particulière qui voudrait seule se réserver ce nom n’échappe point à l’importance des livres ; Il ne lui est pas indifférent que saint Augustin et saint Thomas