Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/815

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impraticable[1] ! » Quel que soit d’ailleurs le jugement que l’on porte sur la situation morale de tel ou tel peuple, on peut affirmer, je crois, que toutes les nations chrétiennes de l’Occident traversent une crise dont il faudrait beaucoup d’optimisme pour se dissimuler la gravité. N’importe à quel point de vue l’on se place pour considérer l’ensemble d’élémens qui se groupent sous cette formule déjà souvent employée, «la question religieuse au XIXe siècle, » nul ne se livrera à cet examen avec quelque peu d’attention sans se sentir l’âme envahie par un sentiment de trouble et d’anxiété. La crise dont nous voulons parler a déjà été signalée à diverses reprises par des esprits éminens, et elle commence même à frapper cette portion du public que des préoccupations de chaque jour ne portent guère pourtant de ce côté. Que l’on jette les yeux sur les pays protestans ou sur les pays catholiques, la situation, quoique très différente, paraîtra également grave.

Il y eut un temps, c’était au commencement de ce siècle, où, par réaction contre l’incrédulité philosophique, qui triomphait partout quelques années auparavant, et qui avait semblé préparer la révolution française, alors honnie, on vit se produire un retour assez général vers la foi du passé, acceptée sans grand examen et saluée comme un refuge. Favorisé en France par l’influence d’écrivains illustres, en Allemagne par le soulèvement contre les idées françaises et par l’engouement du moyen âge, en Angleterre par l’ascendant reconquis de l’aristocratie et de l’église établie, ce mouvement, on s’en souvient, exerça une influence marquée sur les événemens contemporains et jeta un certain éclat. La réaction s’arrêta ensuite pendant les années de paix et de discussion qui s’écoulèrent entre 1830 et 1848; mais, après une nouvelle révolution qui pendant quelque temps remit tout en question en Europe, elle parut reprendre une force nouvelle. Aujourd’hui on voit se manifester partout un mouvement en sens opposé. Très différent de l’hostilité systématique du dernier siècle, il se présente aussi avec des caractères entièrement dissemblables chez les nations restées soumises à l’autorité de Rome et chez celles qui ont adopté la réforme. Chez les peuples protestans, il ne prend nullement la forme d’une lutte de la société laïque contre l’influence du clergé : c’est une évolution de doctrines tout intérieure, qui, par le travail lent, continu, sans passion et sans bruit, de l’érudition, tend à modifier les traditions, les croyances, et en dernier résultat à éliminer le surnaturel. Chez les peuples catholiques au contraire, la religion ne paraît en aucune façon menacée par la critique dogmatique, car jamais,

  1. Revue des Deux Mondes, 15 juin 1861.