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fond des consciences. Pour les partis extrêmes, la position est simple : ceux qui aiment l’église et n’aiment pas la liberté, comme ceux qui aiment la liberté et n’aiment pas l’église, voient clairement la voie qu’ils ont à suivre et les adversaires qu’ils ont à combattre; mais que peuvent faire ceux à qui la liberté et l’église sont également chères, quand elles se prétendent elles-mêmes ennemies irréconciliables? Quelle épreuve, quel déchirement pour les âmes à la fois catholiques et libérales! Et si, comme on le prétend à Rome, il n’y a entre les deux principes hostiles aucune alliance possible, que décideront les peuples? Renonceront-ils à l’obéissance en matière religieuse, ou à leurs espérances en matière politique et sociale ?

La question ne s’est pas toujours posée dans ces termes exclusifs et avec cette netteté fatale. Jadis, en France surtout, l’église nationale maintenait certaines maximes qui consacraient la suprématie légitime du pouvoir civil, et qui arrêtaient dans le domaine de la foi les empiétemens de la cour de Rome. On pouvait opposer aux excès de la théocratie des franchises constitutionnelles : sur ce terrain propre aux transactions, l’accord était possible, et la lutte n’était pas nécessairement poussée à bout. Ils étaient nombreux alors les hommes qui alliaient le respect de la religion à l’indépendance vis-à-vis de ses ministres, et qui, tout en restant fidèles au culte de leurs pères, défendaient énergiquement les droits de la société laïque. Quoi qu’on puisse penser du gallicanisme, il avait du moins le mérite incontestable de conserver au sein de l’église une place à la liberté[1]. Aujourd’hui ce moyen terme a disparu; cette doctrine baptisée du nom même de la France, illustrée par tant de générations de parlementaires fameux, formulée enfin par Bossuet, semble avoir définitivement succombé sous les coups de l’ultramontanisme; on peut dire qu’elle n’est qu’un glorieux souvenir. Aussi n’y a-t-il plus guère en présence que deux partis nettement prononcés, et tous ceux qui essaient de faire de la conciliation parlent dans le désert ou sont suspects aux deux camps. On peut craindre qu’à de rares exceptions près, le catholicisme libéral ou le libéralisme catholique ne trouve plus de partisans, et bientôt n’ait plus même d’auditeurs. On semble toucher à ce moment de la lutte où le tiers-parti doit disparaître, impuissant par lui-même, et importun à tous, car si parmi ceux qui défendent la liberté le nombre des croyans n’est pas très grand, parmi les croyans le nombre de ceux qui sont sincèrement attachés aux idées libérales est encore plus petit. Qu’on se transporte en France, en Espagne, en Italie, en Portugal, en Belgique[2],

  1. Voyez, sur ce caractère particulier du gallicanisme, la Revue du 1er janvier 1855.
  2. C’est en Belgique surtout qu’on peut bien étudier la situation indiquée ici, car dans ce pays la liberté d’association et de la presse étant complète et le clergé ne dépendant en aucune manière de l’état, les partis en présence peuvent se constituer avec plus de force et exprimer leurs principes et leurs vœux avec plus de netteté que partout ailleurs.