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richesse, plus les notions du juste et du bien devraient exercer d’empire pour en régler l’usage. C’est un beau spectacle de voir l’homme armé de la science dompter les résistances de la nature et la contraindre à satisfaire ses besoins; mais il serait déplorable qu’il n’eût acquis ces forces nouvelles que pour donner à toutes les passions grossières un essor plus violent et une domination plus absolue. Sans un accroissement de la vie de l’esprit qui fasse équilibre aux préoccupations envahissantes de la vie sensuelle, notre civilisation serait incomplète, trompeuse et pleine de périls; malgré les conquêtes dont elle se vante à juste titre, elle risquerait de favoriser la corruption des âmes, et par suite d’amener les humiliations de la servitude et de la décadence. Or, dans les conditions présentes, il est difficile que le sentiment religieux s’affaiblisse sans que le sentiment moral n’en souffre à son tour. Certes la morale est indépendante des formes du culte, et le feu des discussions théologiques ou philosophiques ne fait souvent que l’épurer; mais il n’en est pas ainsi quand c’est l’idée même du rapport de l’homme avec Dieu qui s’éteint et s’en va. Alors la conscience humaine s’abaisse et la force de résistance contre le mal diminue. Par malheur, il semble que ce doive être là l’inévitable résultat de la lutte engagée entre le clergé et la société laïque. Ce n’est point à dire que les mœurs soient moins pures aujourd’hui qu’autrefois, tant s’en faut; elles sont surtout plus douces, plus fraternelles, plus régulières, parce que les lumières sont plus répandues, l’obéissance aux lois mieux imposée, les communications entre les différentes nations et les différentes classes plus fréquentes, parce que le sentiment de l’égalité et de la justice distributive est mieux compris; en un mot, les passions sont mieux bridées et l’égoïsme mieux entendu. Regardez-y de plus près cependant : la trempe des caractères n’est-elle pas plus faible, et ne nous manque-t-il pas ces vertus viriles que les hommes d’autrefois empruntaient à leurs fermes croyances, et qui suscitaient parmi eux les apôtres, les martyrs et les héros?

Le mal causé au catholicisme par son divorce avec l’esprit moderne est encore bien plus évident. Nous ne pouvons ici énumérer toutes les preuves d’un fait regrettable que l’esprit de parti seul pourrait contester. Il suffit de rappeler que, dans son enseignement, le clergé a pris pour autorités des écrivains qui préconisent sans ménagement le retour à l’ancien régime, et que ses organes dans la presse ne craignent point de soutenir les idées les plus antipathiques aux sentimens les plus enracinés dans le cœur des hommes éclairés et des nations libres. En Espagne, des gens condamnés aux galères pour avoir lu la Bible en commun et des auto-da-fé de livres, comme au plus beau temps de l’inquisition; en Italie, la