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méritoire, car elle est pénible ; mais il saura épargner à la cause de la liberté et de la justice toute solidarité avec les iniquités dont elle a souffert la première, et ne conclura pas d’une tyrannie à une autre, comme conséquence et comme punition. Les principes de la révolution française n’en sont pas moins sacrés pour avoir été violés par elle-même, et ces violations comme leurs suites funestes nous apprennent que pour la bien servir il ne faut pas l’imiter. J’ai entendu toutes les apologies et n’y ai pas trouvé même une circonstance atténuante. Ce qu’on plaide de plus fort, c’est l’inévitable. Il n’est guère de pire raison. S’il était vrai que la terreur eût été la suite fatale de la révolution, la terreur n’y gagnerait rien, et la révolution y perdrait beaucoup. Le mal certain est interdit à l’homme en vue du bien certain. Qu’est-ce donc si le mal certain rend le bien douteux et précaire ! Le fatalisme révolutionnaire qu’on allègue serait une objection inexpugnable contre toute révolution. Non, les crimes n’étaient pas nécessaires, et le mal n’a fait que du mal. Le paradoxe attribué à ce démocrate d’un esprit original qui voulait faire de l’ordre avec du désordre est peut-être moins insensé que le sophisme qui conseille d’entreprendre la liberté par la tyrannie et d’inaugurer la justice par l’iniquité.

Mais si les révolutions ne sont pas irrévocablement condamnées à la sanglante anarchie (le soutenir serait excuser les révolutionnaires aux dépens des révolutions, elles n’en sont pas moins choses hasardeuses, et le naufrage est une des chances de tout embarquement. On peut en conclure qu’il ne faut jamais quitter la terre ferme. Cette prudence est plausible ; mais elle ne le serait pas moins en fait de guerre qu’en matière de révolution. Il n’y a pas de guerre qui n’ait été précédée d’un état de paix supportable, plus facile à prendre en patience que la défaite ; il serait plus sûr de s’en contenter que d’en échanger la douceur sans gloire contre le risque de voir la nation décimée et la patrie envahie. Et cependant la règle absolue de la politique n’est pas la paix à tout prix. La paix à tout prix et la conservation à tout prix sont des argumens qui se valent. Le premier est même plus soutenable que le second. La guerre la plus heureuse entraîne plus de maux inévitables qu’une heureuse révolution. L’une coûte plus que l’autre à l’humanité. La guerre de la succession a certes vendu plus cher ses victoires à l’Angleterre que la révolution de 1688 ne lui a fait payer la liberté. Je ne cite pas d’autres exemples. La passion de la guerre est criminelle et fatale : criminelle et fatale est la passion des révolutions ; mais la conséquence n’est pas qu’il ne faut jamais vouloir ni guerre ni révolution. Dans les deux cas seulement, il y a des conditions prescrites par la conscience comme par la raison. Telle est la justice de la cause, telle