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qui se pose comme l’adversaire des aspirations les plus légitimes de l’humanité.

Bien décrire le mal est bon, en indiquer les causes est excellent; mais le principal est de prescrire les remèdes. Par malheur on a ici affaire à un malade qui considère ce qui doit le guérir comme un poison, et qui, là où il devrait puiser des élémens de vie, ne trouve qu’une source d’affaiblissement et de mort. Comment le clergé verra-t-il en effet une chose désirable dans la séparation de l’église et de l’état, quand on la repousse à Rome comme un malheur pour l’église et une calamité pour l’état ? Comment serait-il sympathique aux libertés modernes, quand il les entend flétrir du haut du Vatican? Comment cesserait-il de considérer comme un idéal le régime du moyen âge aussi longtemps qu’il le voit fleurir dans la métropole de l’unité catholique?

Le funeste mélange du temporel et du spirituel, voilà donc la racine première de tous les maux de l’église. C’est parce que son chef régnait sur l’antique capitale du monde romain qu’il a voulu envahir successivement les droits des peuples et ceux de l’église, étouffer les libertés civiles et ecclésiastiques, et qu’il a soulevé contre l’autorité sacerdotale cette redoutable opposition qui va grandissant partout. Puisque Rome est le siège du mal, c’est à Rome aussi qu’il faut appliquer le remède. Sans doute pour que l’institution religieuse pût s’accorder avec les institutions laïques, à côté desquelles elle est appelée à vivre dans le monde actuel, de grandes réformes intérieures seraient nécessaires. M. Bordas-Demoulin ne se lassait pas de les réclamer. Dans son important ouvrage des Pouvoirs constitutifs de l’église, il avait exposé l’ancienne organisation, revendiqué les droits des prêtres et des laïques, montré le rôle essentiel de l’élection populaire, tracé en un mot le programme des réformes indispensables pour que la discipline ecclésiastique fût mise en harmonie avec les besoins de la société moderne. De récentes manifestations en Italie montrent qu’en ce point le philosophe catholique avait bien apprécié la situation. Dans ce pays où, par suite de circonstances locales, la crise religieuse a pris une gravité plus grande que partout ailleurs, une partie du clergé, qui s’est ralliée au mouvement unitaire, a compris qu’il fallait songer à rétablir en faveur des églises nationales les libertés dont les usurpations successives de la cour de Rome les avaient peu à peu dépouillées, et, chose remarquable, les réformes réclamées avec le plus d’instance et d’unanimité sont précisément celles qu’indiquait l’auteur du livre sur les Pouvons constitutifs de l’Eglise[1]; mais la

  1. Il s’est formé récemment dans le royaume de Naples une association ecclésiastique comptant déjà, assure-t-on, des milliers de membres, et qui demande entre autres les réformes suivantes : séparation de l’église et de l’état, abolition du pouvoir temporel du pape, élection des prêtres restituée aux fidèles, révision du nouveau dogme, liturgie en langue vulgaire, simplification du culte, etc. C’est exactement le programme formulé en Allemagne par le chanoine Hirscher, en France par M. Bordas-Demoulin, tant les mêmes abus semblent provoquer partout les mêmes remèdes.