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de ces principes, et comme ils croyaient en trouver l’origine dans le christianisme, ils ont voulu les transporter dans l’église. Ils n’ont pas assez remarqué que ce qui convient à la société moderne est antipathique au clergé et aux fidèles qui l’écoutent, et que ce qui fait la vie de la pensée laïque pourrait bien ne pas être aussi salutaire à l’église. C’est du moins l’avis du pape, et tout en regrettant ses inutiles anathèmes contre des libertés désormais impérissables, nous croyons cependant qu’il a eu, plus que les partisans d’une réforme catholique, un sentiment juste des difficultés qui rendront presque impossible, d’ici à longtemps, une réconciliation sincère entre l’orthodoxie romaine et l’esprit moderne. De ces difficultés je citerai deux exemples.

La tolérance en matière religieuse est une des conquêtes dont notre temps est le plus fier. Il n’en est point peut-être qui nous tienne plus à cœur, parce qu’il n’en est pas qui s’accorde mieux avec les sentimens de douceur et d’humanité dont nous sommes trempés. Que là où ces choses sont encore possibles, à Rome ou en Espagne, il se commette quelque acte de persécution religieuse, et aussitôt un cri de réprobation traverse l’Europe. Il faudrait donc qu’en ce point l’église acceptât les idées généralement répandues de nos jours; sinon, toute conciliation semble impossible. Or peut-on espérer qu’elle s’arrache tout à coup à l’empire d’une longue tradition pour embrasser un principe que hier encore elle foudroyait? S’il n’y avait que les encycliques de Grégoire XVI et de Pie IX, ce serait déjà une difficulté sérieuse, car la cour de Rome peut se considérer comme engagée par ces actes solennels et récens ; mais il y a plus : on ne doit pas oublier que ces deux pontifes n’ont fait que se conformer aux décrets de l’église depuis le IVe siècle. Saint Augustin, qui inclina d’abord vers la tolérance, changea d’opinion à la fin de sa vie et posa la base de la persécution en matière de foi. Depuis lors les décisions conformes d’un grand nombre de papes et de conciles, parmi lesquels plusieurs œcuméniques, ont donné à la doctrine de saint Augustin toute la force d’un dogme. « Cette maxime est constante et incontestable parmi les catholiques, dit Bossuet. Je déclare, ajoute-t-il, que je suis et que j’ai toujours été du sentiment : premièrement, que les princes peuvent contraindre par des lois pénales tous les hérétiques à se conformer à la profession et aux pratiques de l’église catholique: deuxièmement, que cette doctrine doit passer pour constante dans l’église, qui non-seulement a suivi, mais encore demandé de semblables ordonnances des princes[1]. »

  1. Vers la fin de l’année 1700, un débat s’éleva entre Bossuet et plusieurs autres évêques sur le point de savoir s’il fallait contraindre les nouveaux convertis à entendre la messe. Bossuet soutenait la négative par respect non pour les droits de la conscience, mais pour la messe. L’évêque de Montauban, l’un des contradicteurs de Bossuet, établit avec beaucoup d’érudition la doctrine orthodoxe, qu’au reste l’évêque de Meaux ne contestait pas. « Saint Bernard, dit-il, qui a été le plus doux et le moins sévère des pères de l’église, dans le soixante-sixième sermon sur le Cantique des Cantiques, conclut qu’il vaut mieux punir les hérétiques par le glaive de la puissance temporelle que de souffrir qu’ils persistent dans leurs erreurs... On ne voit point que l’église se soit jamais plainte de la sévérité de ces lois; au contraire, nous avons prouvé qu’elles avaient été pour la plupart approuvées, demandées et sollicitées par les conciles. »