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que ce bon chevalier de Folard n’ait pas vécu de nos jours ? Il aurait vu ses vœux réalisés. Ces mémoires, ces documens secrets, qui peut-être faisaient défaut à Polybe, M. Flaubert les possède. Et ce n’est pas seulement sur la bataille des défilés de la Hache qu’il a des informations si complètes ; cette Carthage dont les historiens romains parlent trop peu, ce sénat de marchands patriciens, cette religion monstrueuse et subtile, ces temples hideux, ces divinités infâmes, les mœurs publiques, les mœurs privées, tout enfin lui a été révélé avec la plus minutieuse exactitude. « Je ne comprends rien, dit le chevalier de Folard, aux rapports d’Hamilcar et d’Hannon. » En lisant Salammbô, il aurait tout compris. Quelle précision ! quels scrupules ! L’auteur sait les moindres détails de son sujet, il connaît les secrètes pensées des politiques et les combinaisons des chefs d’armée ; il peut vous dire combien il y avait de soldats dans tel bataillon, combien de sénateurs présens aux délibérations des conseils, combien de prêtresses impudiques autour du temple de la déesse. Il n’est pas de chef de bureau arabe qui possède aussi bien son district, et qui, interrogé subitement, puisse dire avec cette précision ce que fait tel homme de telle tribu. Ce n’est pas de la poésie, c’est un rapport officiel, un travail de statistique. M. Flaubert connaît aussi la cuisine des Carthaginois, il a étudié leur médecine et leur pharmacie ; chimiste prudent, il a voulu analyser une certaine pâte que des masseurs tout nus, suant comme des éponges, écrasent sur les articulations d’un malade, et il y a trouvé « du froment, du soufre, du vin noir, du lait de chienne, de la myrrhe, du galbanum et du styrax. » Avis aux sociétés médicales ! Les intendances militaires peuvent aussi s’inspirer de ses indications pour l’équipement des troupes. Dans cette exposition de l’industrie carthaginoise, M. Flaubert est un rapporteur à qui rien n’échappe. Parlons sérieusement : aux prises avec l’impossible, l’auteur de Salammbô s’est senti arrêté à chaque pas, et, violant les conditions du vrai savoir, il a passé outre avec une intrépidité de matamore. L’étude mal comprise a produit l’archéologie équivoque, et de l’érudition fantasque est née la fausse poésie.

Nous ne contestons pas néanmoins les études spéciales de M. Flaubert ; tous les renseignemens que l’antiquité nous a transmis sur les Phéniciens de l’Afrique, tous les commentaires qu’y ont ajoutés les modernes, il paraît les connaître. Polybe, Appien, ont donné quelques détails sur l’emplacement des ports et de la ville ; il les a lus. Il a lu aussi le résumé, la mise en œuvre de ces indications par M. Dureau de La Malle et M. Falbe. Il a interrogé les médailles, il a vu de ses yeux les inscriptions numido-puniques recueillies par la société archéologique de Constantine. A-t-il consulté directement ou par ses amis les travaux de l’érudition allemande ? a-t-il lu les Phéniciens de