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aux lois qu’il n’a pas consenties ; — le pouvoir légitime réside dans le nombre ; — tous les hommes sont égaux. » Beaucoup de ceux qui pensaient et agissaient d’après ces maximes auraient été fort étonnés si quelque puissance supérieure les avait contraints de s’en rendre bien compte et d’en accepter les conséquences obligées ; mais ils n’y regardaient pas de si près et n’y voyaient pas si clair. Les plus puissantes idées sont celles qui, contenant ensemble et confusément une large part de vérité et une large part d’erreur, flattent à la fois les bons et les mauvais instincts des hommes, et ouvrent en même temps la carrière aux nobles espérances et aux mauvaises passions.

La première de ces trois idées : « nul n’est tenu d’obéir aux lois qu’il n’a pas consenties, » est destructive de l’autorité ; c’est l’anarchie. Rousseau, en posant le principe, en a entrevu les conséquences et s’est consumé en efforts pour y échapper : M. Proudhon les a acceptées, et a fait, de ce qu’il appelle hardiment l’anarchie, le but définitif et l’état normal des sociétés humaines.

La seconde idée : « le pouvoir légitime réside dans le nombre, » est destructive de la liberté ; c’est le despotisme de la majorité numérique. Le monde a vu ce principe posé et mis en pratique, tantôt sous la forme républicaine, tantôt sous la forme monarchique, et il a toujours amené l’oppression tantôt violente, tantôt sourde, de la minorité. Qui ne sait qu’aux États-Unis d’Amérique l’empire du nombre a, depuis un demi-siècle, tenu de plus en plus éloignés du pouvoir les hommes les plus capables et les plus dignes de l’exercer ? La troisième idée : « tous les hommes sont égaux, » est destructive de l’élévation politique dans le gouvernement et du progrès régulier dans la société. C’est le nivellement au lieu de la justice ; c’est la décapitation permanente du corps social au lieu du libre développement de tous ses membres.

Il n’est pas vrai que nul ne soit tenu d’obéir aux lois qu’il n’a pas consenties. Il suffit à tout homme de regarder en lui-même et autour de lui pour reconnaître la fausseté de cette maxime. Que de lois auxquelles nous obéissons et nous sommes tenus d’obéir sans les avoir jamais consenties ni même connues d’avance ! Les lois qui fondent dans la famille l’autorité et l’obéissance ont-elles jamais été consenties par leurs sujets ? Et dans la société n’obéissons-nous pas, ne sommes-nous pas, à chaque instant, tenus d’obéir à des lois qui régissent naturellement les hommes dans leurs rapports mutuels sans que, même au sein des institutions les plus libres, elles aient jamais été un objet de délibération et de consentement ? Il s’en faut bien que les hommes n’obéissent et ne soient tenus d’obéir qu’à des lois qu’ils se sont faites eux-mêmes ou que d’autres hommes leur ont faites ; la plupart de celles qui les gouvernent leur viennent