Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/927

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous faisaient à chaque instant des signes pour nous rappeler la requête qu’elles nous avaient adressée avant qu’on se mît à table. Il s’agissait d’obtenir pour elles l’autorisation de suivre la chasse. Nous n’avions pas encore osé en ouvrir la bouche quand Jacob vint, au dessert, prendre les ordres de mon père. C’était le moment ou jamais de se décider. Les deux petites s’agitaient sur leurs chaises et nous encourageaient du regard. Je poussai Voloda du coude, il me poussa de même, et enfin, timidement d’abord, puis avec plus d’assurance, nous demandâmes, au nom de notre prochain départ, la faveur qu’ambitionnaient ces « demoiselles. » Il y eut consultation entre les « grandes personnes, » et notre demande fut admise. Maman, pour mettre le comble à ses bontés, déclara qu’elle viendrait avec nous.


II.

La répartition des chevaux avait été faite avec le plus grand soin, et, la monture ordinaire de Voloda se trouvant quelque peu estropiée, on lui avait assigné en échange « le Chasseur. » Ce nom sonnait mal aux oreilles de maman, qui voyait déjà le terrible animal emporter Voloda je ne sais où et le lancer mort sur la route. Voloda, expert en consolations, ranimait la pauvre femme en l’assurant « qu’il aimait fort à se sentir emporter… » Maman n’en affirmait pas moins qu’on lui gâtait tout le plaisir de la journée.

Nous étions à bavarder dans le jardin, parmi les allées jonchées déjà de feuilles jaunes, quand on entendit arriver la voiture, à laquelle s’étaient accrochés autant de gamins qu’elle comptait de ressorts. Suivaient les chasseurs et les chiens, avec le cocher Ignat sur le cheval destiné à Voloda et menant en laisse celui que je montais habituellement. Nous courûmes nous habiller. Il s’agissait de ressembler le plus possible aux piqueurs, et il était essentiel pour cela de mettre ses bottes par-dessus ses pantalons. La journée était chaude. Depuis le matin, l’horizon était envahi par des nuages aux formes bizarres qu’un vent léger rassemblait peu à peu, et qui parfois masquaient le soleil ; mais, si épais et si noirs qu’ils parussent, il était évident qu’ils ne prédisaient aucune tempête à notre dernière partie de plaisir. Karl Ivanitch, toujours au courant de la marche des nuages, nous déclara qu’ils étaient du côté de Maslovka et qu’il n’y aurait pas de pluie. Le vieux Foka, valet de chambre émérite, vint, les jambes écartées, donner l’ordre d’avancer. Les dames s’entassèrent dans la calèche, ouvrant leurs parasols. Maman, au départ, demanda, désignant le Chasseur, « si c’était là le cheval que monterait Vladimir ? » Et quand le cocher eut répondu affirmativement, elle se retourna par un mouvement qui trahissait sa pen-