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le voyageur. De tous côtés, les visages respiraient l’ardeur, la confiance, l’allégresse et cet orgueil tranquille qu’inspire la fortune enchaînée. Les flottes arrivaient chargées des dépouilles de l’Asie, les guerriers agitaient leurs trophées et repartaient pour de nouvelles victoires, les marchands accouraient des pays les plus lointains, les ambassadeurs venaient payer les tributs : la richesse se montrait partout, la richesse, mère des grandes entreprises. La ville avait l’activité d’une ruche bourdonnante. Des ouvriers innombrables travaillaient à élever des temples et des monumens. Ici l’on bâtissait les Longs-Murs, qui devaient relier Athènes au Pirée ; là on refaisait les fortifications de l’Acropole du côté du sud, et le temple de la Victoire, orné de sa charmante frise, commençait à couronner le bastion qui regarde le Pnyx. Le temple des Dioscures, celui de Thésée, des monumens de tout genre, sortaient de terre, et les carrières du Pentélique ne cessaient point d’envoyer leurs marbres d’une blancheur irréprochable. Le Pœcile, non encore achevé, ouvrait déjà son double portique, si propre à abriter des peintures. Enfin Cimon lui-même, qui était riche et qui soutenait sa popularité par d’intelligentes largesses, faisait embellir les jardins d’Académus, où les citoyens venaient chercher le repos et la fraîcheur : il ornait à ses frais de fontaines, d’exèdres et de sièges élégans les carrefours et les places publiques. On ne trouvait ni assez de mains ni assez de talens pour suffire à l’élan d’un peuple qui réparait ses revers, et passait d’une jeunesse invincible à une maturité féconde et toute-puissante.

Polygnote, que Cimon estimait sa conquête la plus précieuse, fut aussitôt employé. Il partagea la tâche des artistes athéniens, qui le traitèrent en égal d’abord, bientôt en maître. Il se lia d’une amitié particulière avec un peintre nommé Micon, qui était en même temps sculpteur, car l’antiquité, de même que la renaissance italienne, offre de fréquens exemples de ces applications diverses du même talent. On suppose en outre que Micon était architecte, et que ce fut lui qui construisit le temple de Thésée, après que Cimon eut rapporté de Skyros les ossemens du demi-dieu exilé. Les parois intérieures de ce temple étaient décorées de peintures qui ont malheureusement disparu, lorsque les chrétiens en firent une église. Tandis que Micon retraçait la Guerre des Amazones et le Combat des Athéniens contre les Centaures, sujets familiers à la sculpture, Polygnote traitait un sujet plus neuf et plus délicat. Parmi les traditions qui constituaient la Légende de Thésée, il y en avait une qui montrait ce roi en présence de Minos, assis sur une plage de la Crète. Thésée se disait fils de Neptune, Minos le niait, et, jetant son anneau dans la mer : « Si tu es fils de Neptune, lui dit-il, rapporte-moi cet anneau. » Thésée se précipite aussitôt dans les flots ; mais