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fournissaient des compositions variées, libres, se prêtant à la fois à la richesse et au grand style, car il ne faut point oublier que chez Polygnote le goût de l’élégance est toujours subordonné à une gravité qui fait de lui un digne précurseur de Phidias.

Le succès de ces premières œuvres avait rendu Polygnote cher aux Athéniens, et leur faisait souhaiter avec passion que tous leurs monumens fussent aussi magnifiquement décorés. Ce qu’ils n’admiraient pas moins, c’était le désintéressement d’un artiste qui refusait tout salaire et ne travaillait que pour la gloire. Il y avait dans la ville un portique, lieu de promenade où les citoyens s’abritaient, soit contre les vents piquans qui soufflaient pendant l’hiver, soit contre les rayons ardens de l’été. Ce portique était double, adossé à un mur commun, regardant à la fois le nord et le midi. Les ruines de la villa Adrienne, au-dessous de Tivoli, nous aident à comprendre la disposition d’un édifice que l’empereur Adrien avait fait exactement imiter. Cette longue muraille, si bien protégée, appelait naturellement des peintures. Polygnote et Micon furent chargés de l’orner, et, comme l’entreprise était considérable, ils s’adjoignirent Panœnos, frère de Phidias.

Il est vraisemblable que Polygnote eut la haute main sur ces travaux, d’abord parce que Micon et Panœnos reconnaissaient eux-mêmes sa supériorité, ensuite parce que l’indépendance de son caractère, l’amitié de Cimon, et cette autorité singulière que gagne un artiste qui ne veut rien recevoir d’un peuple, mais lui fait présent de ses œuvres, imprimaient le respect aux Athéniens. En effet, la plupart des auteurs anciens, quand ils parlent de ce portique, qui s’appela dès lors le Pœcile (le portique aux couleurs variées), ne nomment que Polygnote, de même que les modernes, quand il s’agit des sculptures si nombreuses du Parthénon, ne nomment que Phidias. Nous savons cependant que Micon peignit le Combat des Athéniens contre les Amazones, sujet qui lui était familier, tandis que Panœnos représenta la Bataille de Marathon, où il s’efforça de faire reconnaître des personnages qui étaient morts où qu’il n’avait pas connus : Miltiade, Callimaque, Cynégire, chefs des Athéniens, Datis et Artapherne, satrapes qui commandaient les Perses, sans oublier un chien qui avait pris part au combat, et que le peuple voulut voir figurer sur la muraille. Par une réserve pleine de délicatesse, Polygnote laissait à un artiste athénien le soin de retracer la page la plus glorieuse de l’histoire nationale, sachant qu’elle aurait par là, aux yeux de ses concitoyens, encore plus de prix qu’une composition plus belle exécutée par un étranger. Toutefois le sujet était trop vaste et trop grandement conçu, pour que Polygnote n’eût pas soutenu Panœnos de ses conseils, pour qu’il ne lui eût pas fourni des esquisses, prêté même une aide plus efficace, mais en secret, en