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lui laissant tout l’honneur de l’œuvre. On voyait d’abord le commencement de la bataille, lorsque les Athéniens et les Platéens reçoivent le choc des Barbares ; plus loin, la victoire se décidait, et les Perses en déroute se précipitaient dans les marais de Marathon ; enfin, à l’extrémité du portique, on les voyait se réfugier sur les vaisseaux phéniciens attachés au rivage, tandis que les Grecs les taillaient en pièces. Les dieux et les demi-dieux, qui avaient soutenu les Athéniens dans cette lutte terrible étaient également représentes.

Sur la partie qu’il s’était réservée, Polygnote traça, un grand drame tiré du cycle homérique : la Prise de Troie. Comme il reprit ce sujet à Delphes et le traita avec plus d’étendue, nous regrettons moins le silence des auteurs, qui ne décrivent point cette composition, mais qui nous apprennent seulement qu’on y remarquait Cassandre, Ajax et le jugement suscité par les violences sacrilèges d’Ajax : en outre ils signalent Laodicé, une des captives troyennes, qui offrait tous les traits d’Elpinice, sœur de Cimon. Elpinice était la maîtresse de Polygnote, et le peintre avait voulu immortaliser la beauté de celle qu’il aimait.

La gloire que Polygnote dut à l’exécution d’une telle œuvre rejeta dans l’ombre Micon et Panœnos, ses collaborateurs. Comme ils étaient pauvres et forcés d’exiger un salaire, ils en parurent rabaissés par comparaison avec l’étranger magnifique qui faisait don de tout ce qu’il produisait. Les Athéniens se plurent à exalter le peintre de Thasos ; ils lui attribuèrent tout l’honneur du Pœcile, et la postérité se fit l’écho de leur enthousiasme.. Ils lui décernèrent le titre de citoyen, titre si envié, si rarement accordé à cette époque, et que sollicitait en vain, quelques années plus tard, Agoracrite, le plus brillant élève de Phidias. Au contraire, Panœnos et Micon devinrent l’objet de leur mauvais vouloir et de ces persécutions mesquines dont la démocratie athénienne avait le secret, s’il est vrai toutefois que Micon ait été cité en justice et condamné pour avoir peint les Barbares plus grands que les Athéniens, ce qui blessait l’orgueil national. Ce peuple si libéral et si charmant a donné bien d’autres preuves d’une puérile ingratitude.

Quant à Polygnote, il n’eut jamais qu’à se louer de leur constance. Tant qu’il vécut parmi eux, il fut entouré d’honneurs. Admis dans l’intimité de Cimon, il partageait ses plaisirs et nourrissait en lui l’amour des belles choses. Cimon avait la passion des arts ; il voulait faire d’Athènes la reine des villes. S’il n’eût été exilé, peut-être eût-il prévenu Périclès et donné son nom au grand siècle. Entouré d’artistes, il payait lui-même d’exemple, et passait pour bon musicien. Généreux, ouvert, familier avec noblesse, non-seulement Cimon se faisait chérir, mais il se faisait tout pardonner.