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définitivement arrêtée qu’en 1860, qui fut publié alors sous le nom de constitution nationale.

C’était un grand progrès, mais qui déjà en appelait d’autres. Le conseil national, institué depuis vingt ans, s’était laissé gagner à l’indolence et à l’égoïsme turcs, et tout un parti éclairé chez les Arméniens comprenait qu’à la nouvelle constitution il fallait un nouvel organisme. Une réforme d’administration financière et une nouvelle assiette des impôts devenaient surtout indispensables. A mesure que la nation arménienne de Turquie se développait, les vices du gouvernement auquel elle se trouvait soumise étaient plus profondément sentis. La majorité des Arméniens dans les classes éclairées forma un parti qui réclamait avec une énergie infatigable de nouvelles réformes, et le parti opposé fut qualifié par elle de parti des ténèbres; en même temps des conversions au protestantisme et au catholicisme romain venaient de plus en plus, depuis 1850, diviser les esprits et les cœurs. Le parti du progrès voulait à tout prix arrêter ces divisions; mais le gouvernement turc les avait remarquées, et il avait compris l’avantage qu’on en pouvait tirer contre un essor bientôt redoutable des Arméniens. Dans le courant de 1861, il suspendit la constitution sous le prétexte de la réviser, et les Arméniens mécontens la redemandent encore inutilement aujourd’hui.

Étrange spectacle! un peuple opprimé s’est donné à lui-même cette constitution sous les regards indifférens du peuple oppresseur, et elle est une des plus libérales qu’on puisse imaginer. Elle cherche évidemment à consacrer un grand nombre de coutumes nationales, mais elle s’efforce visiblement aussi de se rapprocher des constitutions européennes, et cette tendance est le témoignage écrit de la résistance légale que les Arméniens entendent poursuivre sans paix ni relâche contre le gouvernement ottoman. En même temps que les rédacteurs du statut arménien conservaient au patriarche de Constantinople la présidence du conseil national, ils donnaient aux aradchnorts[1] celle des conseils provinciaux; en même temps qu’ils maintenaient, en apparence du moins, les antiques prérogatives du clergé et les institutions théocratiques formulées dans les canons de l’église grégorienne et la législation du moyen âge, ils prenaient soin d’assurer au peuple son droit de souveraineté, adoptaient un gouvernement représentatif, posaient en principe le suffrage universel, et instituaient des assemblées des conseils chargés de régler et d’administrer les affaires de la nation.

Le catholicos, le chef religieux de toute la nation arménienne,

  1. L’aradchnort est un ecclésiastique chargé à la fois du gouvernement religieux et civil d’un diocèse.