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« Écoutez, mes frères, le récit de l’agression de Kourschid-Pacha. Oh! cette année-ci fut glorieuse pour nous!

« L’impie était décidé à nous massacrer, afin d’enlever nos femmes, nos enfans et nos biens ;

« Mais qu’il ne compte plus sur ses milliers de soldats, qu’il tremble désormais devant nous, et que ceux de Marach apprennent aussi à respecter la foi du serment!

« Salut à nos chefs qui nous conduisirent sur le champ de bataille, salut à nos sages gouverneurs qui veillent à notre sûreté, salut à nos valeureux princes, et vive notre pays!

« En ce moment sublime, Iénidunian[1] s’écrie : En avant tous ensemble! plus de crainte; je vous procurerai un riche butin !

« Surénian reprend : Je commande à mille guerriers qui vont courir à la mort pour défendre l’indépendance; marchons à l’ennemi!

« Kosroian crie à son tour : Arrêtez! c’est à moi de marcher le premier à la tête de nos guerriers; c’est à vous de suivre mon exemple et de repousser l’invasion musulmane.

« Balian reprend : Admirez mes braves ; enviez et ma poudre et mon plomb. Prenez tout et tirez juste; mes biens, mes fusils et ma vie sont à la nation.

« Garabed le kaïa dit à son tour : Libre montagnard, c’est à moi, gardien du Zeïthoun, de défendre le chemin de la liberté. A moi, mes fils, à moi ! ayons foi en Dieu et montrons-nous dignes de nos ancêtres en abaissant l’orgueil d’un pacha exécré.

« Mes greniers sont garnis de blé. Ne comptez plus sur des secours; un pain par jour, et combattons dix ans. Nous avons bien assez vécu; il faut nous sacrifier au salut de nos frères. Dieu et la croix sont avec nous! »


Les événemens du Zeïthoun en 1862 et 1863 peuvent maintenant être appréciés sous leur véritable jour, et le récit qu’on en va faire ne saurait présenter aucune obscurité. Peut-être confirmera-t-il une opinion qui s’était produite en Europe après les massacres de Syrie : une guerre sainte contre les chrétiens, tel serait le suprême expédient auquel voudraient recourir les partisans fanatiques du mahométisme. Des derviches nomades, parcourant les villes et les bazars, s’efforceraient en conséquence d’entretenir par leurs prédications fanatiques la terreur dans l’esprit des fonctionnaires musulmans. — Il faut exterminer les chrétiens, diraient les partisans exaltés de l’islamisme; toutes les occasions sont bonnes; on doit même en susciter au besoin. Voici au reste les termes précis d’une lettre confidentielle écrite à un pacha de province par un haut personnage aujourd’hui en fonction : «entretenir les querelles natio-

  1. Ce nom et les suivans sont ceux des princes zeïthouniens qui dirigèrent les montagnards lors du combat du Djihan, dans lequel Kourschid, pacha de Marach, fut battu en 1859.