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et devait en arriver bientôt : on attendait, pour l’inaugurer, un moment favorable.

Les sons de la simandra éveillent tout le village. Bientôt chacun se lève; on prend un peu d’eau dans le creux de la main et on s’en mouille le bout du nez et les paupières; on empile dans un coin de la terrasse toute la literie, et voilà la toilette et le ménage faits. Déjà, sur l’autre flanc de la vallée, par le raide et tournant sentier qui mène à l’église, gravissent les femmes enveloppées de longs voiles blancs. Nous ne restons pas longtemps à contempler ce spectacle; après une légère collation, aussitôt nos chevaux sellés, nous partons au moment même où se lève le soleil.

La route d’Istanos à Angora remonte le long de la rivière qui vient de cette dernière ville, si l’on peut appeler rivière un lit desséché où s’aperçoivent çà et là des flaques d’eau dormante. D’Istanos à Angora, on compte six heures, et dans tout cet espace, sur la route, il y a deux fontaines, mais pas un arbre, pas un toit où l’on puisse s’abriter. Ce n’est pas que le pays soit désert; toute la plaine est cultivée, et on est occupé en ce moment à battre et à rentrer la moisson; mais les villages sont tous à quelque distance de la route. Nous poussons nos chevaux, égayés eux-mêmes par la fraîcheur du matin, et en moins de quatre heures nous arrivons à Angora, l’ancienne Ancyre.

Angora est la plus grande ville que j’aie encore vue en Asie-Mineure. Dominée par les murailles dentelées de son vieux château, la ville présente de loin un aspect original et pittoresque. Cette impression ne s’efface pas quand on approche. Dans une prairie desséchée, devant la ville, campent sous quelques lambeaux de toile plusieurs familles tartares. Avant de s’engager dans les rues, on traverse des cimetières remplis de débris antiques, on aperçoit les ruines informes de plusieurs vieux édifices. Puis ce sont des rues étroites et tortueuses où l’on est arrêté par de longues files de chameaux, un populeux bazar où, par les trous de la toiture en planches, tombent capricieusement, comme une pluie d’or, d’étincelans rayons. Les maisons grises, en briques crues, ont toutes l’air de masures; mais par la porte entr’ouverte on aperçoit des cours dallées qu’ombrage une treille, des chambres meublées de sofas et de beaux tapis. Je me fais conduire à l’église catholique ; c’est dimanche, et le moment où on sort de la messe. Dans les grands voiles blancs qui les couvrent, les femmes ont toutes l’air de religieuses; mais heureusement elles ne cachent point leurs doux et aimables visages. L’évêque est à sa campagne, à 6 kilomètres environ de la ville; je remonte à cheval et j’y cours. Mgr Chichmanian me fait l’accueil le plus cordial, le plus empressé, le plus paternel