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santes et des principes de la civilisation moderne! Et si l’on répète que, pour que les pouvoirs soient séparés partout, il faut qu’ils soient unis à Rome, c’est le sentiment catholique plus encore que le sentiment libéral qui doit décliner énergiquement cette théorie spécieuse et dangereuse, dont le dernier mot est l’immobilisation d’un peuple dans un intérêt religieux, qui ne tendrait à rien moins qu’à établir au profit des catholiques une population de mainmorte.

A tout prendre, la puissance morale d’un pape n’est pas dans quelques lieues de terrain. Lorsque Napoléon disait qu’il fallait traiter le saint-père comme s’il avait une armée de deux cent mille hommes, ce n’était pas du souverain de quelques petits territoires qu’il parlait. Lorsque le pape à Savone ou à Fontainebleau inquiétait l’homme le plus puissant de la terre et lui résistait, il n’avait plus de souveraineté temporelle. Je ne veux pas dire assurément que ce soit une condition normale pour un pape d’être à Savone ou à Fontainebleau; mais cela prouve au moins que la puissance d’un souverain pontife est indépendante de l’étendue de son domaine et de ses droits terrestres. Le pape actuel, je le disais, a perdu la plupart de ses provinces, fondues aujourd’hui dans le royaume italien; ce qui lui reste de ses états est sous la garde d’une armée d’occupation, le Vatican n’est plus pour lui qu’une tente qui peut se replier demain : il ne s’est pas montré moins indépendant de parole comme d’action, et je ne sais s’il peut y avoir une image plus expressive des extraordinaires anomalies du moment présent que ce dialogue plusieurs fois renouvelé entre un protecteur dont la présence est le signe d’une souveraineté illusoire et un prince temporel qui n’est rien politiquement, qui ne peut rien, et qui répond avec mie fermeté calme : « Le souverain pontife est engagé par serment à ne rien céder du territoire de l’église; le saint-père ne fera donc aucune concession de cette nature, un conclave n’aurait pas le droit d’en faire, un nouveau pontife n’en pourrait pas faire, ses successeurs de siècle en siècle ne seraient pas plus libres d’en faire. »

Réfléchissez bien : ce qui frappe dans ce spectacle caractéristique, ce n’est pas la lutte pour un territoire, ce n’est pas la résistance au nom d’une cause vaincue; c’est ce sentiment moral qui ne s’appuie sur aucune force matérielle et qui survit à l’autorité temporelle qu’il revendique. Assise sur les ruines d’une souveraineté morte, que des réformes sur les passeports ne feront pas assurément revivre, la papauté, pour le bien même du catholicisme, n’a qu’un refuge : c’est la liberté par une séparation des pouvoirs, qui n’est en fin de compte que l’application d’un des premiers principes de l’Évangile, la liberté qui rompt les solidarités funestes en affranchissant le pontificat de cette condition périlleuse où l’on voit tour à tour la