Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une suspension du droit des Romains; mais en même temps, entre les résultats accomplis déjà et les conséquences qui restent à réaliser, il y a une question de conduite qui n’échappait pas à M. de Cavour le jour où, avec son esprit hardi et prévoyant, il fixait le but et les moyens d’y arriver en se donnant de l’espace. « J’ai affirmé et j’affirme encore, disait-il, que Rome, Rome seule, doit être la capitale de l’Italie; mais ici commencent les difficultés. Il faut que nous allions à Rome, mais, à ces deux conditions : que ce soit de concert avec la France, et que la grande masse des catholiques en Italie et ailleurs ne voie pas dans la réunion de Rome au reste de l’Italie le signal de l’asservissement de l’église. Il faut, en d’autres termes, que nous allions à Rome sans que l’indépendance du souverain pontife en soit diminuée... » Et quand on pressait M. de Cavour, quand on lui demandait une date, il répliquait : « Dites-moi ce que seront l’Italie et l’Europe dans six mois, et je vous répondrai, » c’est-à-dire que, le principe de Rome capitale de l’Italie une fois proclamé, il en subordonnait la réalisation aux circonstances générales, au temps, à l’action morale. Lorsque Garibaldi et ses partisans tentaient de brusquer la solution par violence, ils ne voyaient pas que non-seulement ils allaient se briser contre une susceptibilité militaire de la France, mais encore qu’ils risquaient les destinées de l’Italie sur un de ces mots de joueur qui veulent dire la ruine plutôt que l’attente, — qu’en faisant de la possession immédiate de Rome une condition de vie ou de mort pour l’unité, ils encourageaient les espérances des ennemis de cette unité, et leur montraient le point à défendre à outrance. Il y a pour l’Italie une manière plus sûre, plus infaillible d’aller à Rome, comme le remarque un Italien, c’est d’organiser son administration, de discipliner son armée, de créer ses finances, de relever son crédit, de développer le travail; c’est de montrer à l’église que la liberté qu’elle lui promet n’est pas un mot, et d’agir sur l’Europe libérale par le spectacle d’un peuple prouvant sa vie par le mouvement.

L’Italie, sans être à l’abri des crises et des incertitudes, est assez avancée déjà pour que ses malheurs disparaissent un peu dans sa vie nouvelle, et tandis que jour par jour elle se dégage du passé, voici un autre peuple qui se lève avec l’héroïsme d’un désespoir viril, seul, sans armes, n’ayant d’autre bouclier que son patriotisme et son courage, soutenant depuis un mois la lutte la plus émouvante contre une puissance qu’on a crue colossale, et qui semble ne plus l’être que par les barbaries qui se commettent en son nom. On ne les traite plus déjà heureusement de révolutionnaires, ces insurgés polonais qui disaient récemment à un Français allant de Saint-Pétersbourg à Paris, arrêté par eux et passant dans leur camp :