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La mer plaintive et sombre enfle ses flots houleux
Et soulève vers toi son sein tumultueux.
A travers les carreaux d’une pauvre cellule,
Tu pénètres ce soir avec le crépuscule,
O lune ! et ta lueur éclaire le réduit
Où Jean Caillou s’enferme au tomber de la nuit.
Les murs sont froids et nus; au bord de la croisée.
Le seul trésor du maître, une flûte est posée.
Quand le dimanche arrive ou lorsqu’aux environs
On célèbre un joyeux hymen de vignerons,
Jean Caillou prend sa flûte et dirige la danse,
Et tandis qu’il s’essouffle à marquer la cadence.
Au pied de ses tréteaux, les danseurs, deux à deux,
Tourbillonnent. Il voit leurs regards amoureux,
Il entend leurs baisers et leurs éclats de rire.
Et lui, pauvre bossu, lui dont la flûte inspire
Ce tumulte joyeux dont l’air semble imprégné,
Seul au milieu du bal, est morne et dédaigné.
Il aime aussi pourtant. Comme la perle blonde
Se dérobe aux regards sous la vague profonde,
Ainsi son amour pur, chaste et mystérieux.
Dans le fond de son cœur se cache à tous les yeux.
Il arrive ce soir d’une course lointaine ;
Il est las, il est triste, et sa poitrine est pleine
De sanglots refoulés. Il ouvre le battant
De sa vitre. La pluie a cessé, l’on entend
Des gouttes d’eau rouler sur les feuillages sombres
Et le crapaud plaintif chanter dans les décombres ;
Les rapides métiers des maîtres tisserands
Font résonner au loin leurs accords déchirans.
Jean, qui fixe les yeux sur la cave voisine,
Voit tout à coup briller la lampe de Sylvine.
Alors il prend sa flûte, et dans la calme nuit
Un chant mélancolique et doux s’épanouit.
Cet air touchant, les mots pourraient le reproduire.
Tant il exprime bien ce que le cœur veut dire !

Aux vitres de Lazare ainsi qu’au seuil de Jean,
La lune ce soir-là lance un rayon d’argent.
Et comme le flûteur Lazare à la croisée
Est assis, et Sylvine occupe sa pensée.
Mais s’il l’aime, pourquoi ces rougeurs sur son front,
Et cette inquiétude, et ce trouble profond ?