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Les fruits des cornouillers sont vermeils, et les faînes
Tombent comme une grêle, et le long des sentiers
Roulent les glands dorés. On voit les alisiers
Ployer. Les mousserons, sous les chênes antiques.
Tracent dans le gazon leurs cercles fantastiques.
Mais le taillis s’effeuille, et parmi les buissons
Le rouge-gorge errant dit ses courtes chansons.
Voici l’hiver venu. La neige sur les branches
En silence répand ses touffes de fleurs blanches;
D’un sommeil éternel les bois semblent dormir.
Mais les germes féconds des printemps à venir
Fermentent sourdement sous l’épais lit de neige,
Lazare vit deux fois le rapide cortège
Des changeantes saisons défiler dans les bois.
Il poursuivait sa tâche, et les jours et les mois
S’enfuyaient... Au courant de cette vie active,
Comme une terre aride au contact d’une eau vive,
L’héritier des Paulmy se métamorphosait.
Ce n’était plus l’enfant timide qui n’osait
Sortir de sa misère et de sa somnolence.
Le cœur qu’un préjugé de caste et de naissance
Retenait indécis : — c’était un esprit fier,
Énergique et vaillant; sa volonté de fer
Ceignait son cœur ainsi qu’une cotte de mailles,
Et comme ses aïeux au milieu des batailles,
Pour devise il avait ce noble mot : « Vouloir! »
Il n’avait pas revu Sylvine; mais le soir
Ses rêves amoureux s’envolaient vers la ville,
Et l’absence doublait sa tendresse virile,
Comme la nuit accroît le parfum d’une fleur.
Parfois dans le sentier venait Jean le flûteur.
Et tous les bûcherons le fêtaient au passage.
Car sa flûte semblait leur donner du courage;
Mais Jean, triste et muet, se tenant à l’écart.
Sur Lazare sans cesse attachait son regard.
Et lorsque ce dernier l’interrogeait, sa bouche
Restait close; en silence il s’éloignait, farouche.

Les jours, les mois fuyaient... Lazare d’un chantier
Était devenu maître, et denier par denier
Son trésor amassé s’arrondissait dans l’ombre.
Or un doux soir de mai, dans la clairière sombre,
Les bûcherons en cercle achevaient leur repas,