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bois, dans une saison effroyablement rigoureuse, l’expression la plus chaleureuse de l’admiration et de la pitié ; mais comment aller au-delà ? La France est toujours si loin ! Peut-elle à cette distance revendiquer et exercer le droit qu’on a d’empêcher un voisin de laisser brûler sa maison ? Nous eussions été condamnés à un rôle trop long de contemplation douloureuse. Une étourderie de la Prusse, malfaisante d’intention, mais d’une conséquence heureuse pour nous, a fourni aux gouvernemens européens qui ont encore quelque souci du droit et quelque sentiment d’humanité un moyen de procédure pour aborder la question polonaise.

Bien que M. de Bismark essaie encore de tricher devant les chambres prussiennes sur la nature et la portée de la convention militaire qu’il a conclue avec la Russie, cet arrangement est tel qu’il a donné aux grandes puissances le droit de prendre en considération les affaires actuelles de Pologne. M. de Bismark est depuis longtemps connu en Europe pour être un des diplomates de notre temps les plus agités, un véritable coureur de hasards. Cette réputation ne déplaît point à cet homme d’état spirituel d’ailleurs et possédé du désir de faire et d’oser. Si ses offres bouillantes eussent été acceptées par les gouvernemens auxquels il a proposé des parties, l’Europe dans ces dernières années eût été plus d’une fois mise sens dessus dessous. La place de premier ministre de Prusse a été pour M. de Bismark une occasion unique de donner carrière à ses audaces. Il ne lui a pas suffi de tenir tête à un parlement, de perpétuer et d’aggraver une crise constitutionnelle qui compromet le repos intérieur et les progrès politiques de son pays. L’insurrection polonaise éclate : sans s’inquiéter des circonstances morales qui ont produit ce déchirement, sans se soucier de la question de justice et d’humanité, excité plutôt qu’embarrassé à la pensée de surprendre et d’émouvoir les autres puissances par la hardiesse d’une combinaison diplomatique qui froisse tous les sentimens de l’Europe, M. de Bismark s’est élancé sur l’occasion. Il lui est donné de faire avec la Russie un acte énorme qui va réveiller en sursaut les cabinets les plus concilians ou les plus inertes, qui imprimera une vive secousse aux alliances, qui ouvrira peut-être la porte aux événemens imprévus. Voilà M. de Bismark heureux ! Il a fait enfin quelque chose, et l’on parlera de lui !

Oui, grâce à Dieu, il est aujourd’hui visible que M. de Bismark a fait quelque chose, et ce n’est point nous qui avons à le regretter. Son arrangement avec la Russie n’est pas, dira-t-il, un traité proprement dit ; c’est peut-être un échange de notes : qu’importe ? Il n’en résulte pas moins une action concertée à propos des affaires de Pologne. En vue de ce concert, la Prusse ouvre son territoire aux Russes, et la Russie ouvre sa frontière polonaise aux troupes prussiennes. M. de Bismark dira encore : Mais cette libre entrée réciproque n’est point posée comme un droit général ; chaque fois que l’occasion de profiter de cette stipulation se présentera, il est convenu que la troupe qui pénétrera dans le territoire du voisin devra obtenir