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encore de l’empereur Alexandre que des intentions généreuses et des actes de véritable courage civil. La générosité de ses intentions s’est étendue à la Pologne elle-même. Il a voulu faire quelque chose pour la Pologne : il lui avait surtout permis d’espérer beaucoup. La Pologne, si horriblement traitée par son prédécesseur, est maintenant l’écueil de son règne. Il ne lui est plus possible d’ajourner, d’éluder la question polonaise. La voilà posée dans le sang, dans le sang qui coule par une provocation immorale de son propre gouvernement. Plus honnête et plus clairvoyant que ceux qui le conseillent ou prétendent le servir, on rapporte qu’il a plusieurs fois refusé sa sanction à l’odieux recrutement qui a mis la Pologne en feu. Il voit maintenant les fruits du funeste système du marquis Wielopolski, auquel il avait livré la Pologne en expérience. Le marquis, ce systématique ennemi de l’Occident, qui voulait entraîner ses compatriotes au suicide de la nation polonaise par haine contre l’Europe, n’a réussi qu’à soulever contre la domination russe en Pologne l’indignation de tous les peuples civilisés et la réprobation de tous les gouvernemens éclairés et vraiment puissans. Entre l’Europe et la Russie, le gouffre est en train de se rouvrir. La Russie reprend aux yeux des nations occidentales le caractère répulsif de la barbarie asiatique. Que fera l’empereur Alexandre dans cette heure décisive de sa vie et de sa carrière historique ? S’opiniâtrera-t-il dans les pensées de résistance et d’autocratie absolue ? Voudra-t-il écraser encore une fois la Pologne sous le poids de la conquête ? Mais la conquête et ses violences redoubleront l’indignation de l’Europe et ne produiront rien de définitif. La Pologne conquise et martyrisée ne sera pas réduite. Le problème de la Pologne contiendra pour la Russie les mêmes difficultés redoutables auxquelles viendra s’user la force impuissante. Pourquoi alors l’empereur Alexandre ne prendrait-il pas sur-le-champ la résolution humaine et vraiment noble que l’Europe attend de lui ? Pourquoi n’effacerait-il pas un passé d’effroyables persécutions par une amnistie générale ? Pourquoi ne rendrait-il pas à la Pologne l’autonomie sous un vice-roi, la langue, l’armée nationales, la constitution, ces garanties données par les traités, et dont la restitution était promise encore en 1831 par l’empereur Nicolas ? Accordées aujourd’hui, ces concessions seraient reçues avec gratitude, aux applaudissemens du monde, et assureraient l’honneur du nom d’Alexandre II. L’empereur Alexandre les refusera-t-il ? Croira-t-il mieux travailler à sa gloire en acceptant les secours de la Prusse et en faisant ainsi en quelque sorte un humiliant aveu d’impuissance ? Préférera-t-il laisser l’insurrection durer et s’étendre, car tout annonce que, malgré l’emportement de la répression, l’insurrection est destinée à durer et à se propager ? Voudra-t-il exposer l’œuvre de l’émancipation des serfs, dont l’échéance est prochaine, aux incertitudes et aux accidens d’une guerre civile attachée aux flancs de l’empire ? Prendra-t-il le sombre parti de mépriser les vœux de la civilisation occidentale, de rompre moralement avec elle et de s’enfoncer avec