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d’en donner une longue explication. Le fait capital de la vie de ce grand artiste et de ce merveilleux chanteur italien du XVIIe siècle est parfaitement authentique. Il est consigné dans un livre curieux, l’Histoire de la Musique et de ses effets, ouvrage posthume d’un médecin français, nommé Bourdelot, qui est mort en 1683.

D’après le récit de Bourdelot, reproduit par M. Fétis[1], Stradella a été tué à Gênes en 1678, après la représentation d’un opéra de sa composition, la Forza dell’ amore paterno, qui avait obtenu un grand succès. Stradella était un compositeur et un chanteur distingué qui avait enlevé la maîtresse d’un noble vénitien à qui il avait donné des leçons de chant. Les deux amans se sauvèrent d’abord à Rome, où ils furent bientôt suivis par deux assassins qui étaient payés par le noble vénitien pour se défaire de l’un ou de l’autre. Étant arrivés à Rome, les deux bravi apprirent que le lendemain Stradella devait faire exécuter à cinq heures du soir, dans l’église de Saint-Jean-de-Latran, un oratorio de sa composition. Le succès qu’obtint cette composition fut si grand et le public parut si émerveillé de la musique et du chant de Stradella que cet effet changea comme par miracle les dispositions des deux scélérats. Non-seulement ils renoncèrent à accomplir leur crime, mais ils donnèrent le conseil à Stradella de quitter Rome à l’instant et de chercher un autre asile. Stradella ne se le fit pas dire deux fois, et il partit avec sa maîtresse pour Turin. — Le grand artiste, toujours au dire de Bourdelot, n’en fut pas quitte pour si peu. Poursuivi de nouveau par deux autres assassins, soldés toujours par l’implacable Vénitien, et dirigés cette fois par le père même de la maîtresse de Stradella, il fut attaqué un soir par ces trois brigands, qui lui donnèrent chacun un coup de stylet dans la poitrine, et puis ils se sauvèrent chez l’ambassadeur de France, qui eut l’infamie de les couvrir de son privilège d’asile. Un an après ce triste événement, Stradella, qui était guéri de ses blessures, et qui avait épousé la femme qu’il avait enlevée, fut obligé d’aller faire un petit voyage à Gênes avec sa nouvelle épouse. C’est dans cette ville qu’ils furent assassinés tous deux dans la chambre de l’auberge où ils étaient descendus. Les assassins se sauvèrent sur une barque qui les attendait dans le port de Gênes, « de sorte, ajoute naïvement Bourdelot, qu’il n’en fut plus parlé, et ainsi périt le plus grand musicien de toute l’Italie » vers 1670. C’est beaucoup dire ; mais il est certain que Stradella avait une grande réputation dans son temps. Le père Martini nous a conservé, dans le second volume de son Saggio di Contrappunto fugato, un charmant duo de Stradella. On trouve de la musique de ce compositeur dans la bibliothèque du Conservatoire de Paris, et tout le monde connaît l’admirable air d’église que M. Fétis a fait chanter dans les concerts historiques qu’il a donnés en 1832.

  1. Dans la première édition de la Biographie universelle des Musiciens.