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Pythéas lui-même, conservés par quelques écrivains romains ou grecs dans l’intention évidente de démontrer la fausseté, suivant eux ridicule, d’assertions qu’ils ne pouvaient comprendre. Voici comment M. Nilsson raisonne : à ses yeux, Pythéas est Phénicien par la religion ; c’est un adorateur du soleil. L’inscription phénicienne trouvée en 1845 à Marseille, publiée par M. l’abbé Barges et commentée par M. Movers[1], qui la croit du IVe siècle avant Jésus-Christ, a prouvé suffisamment que cette ville, fondée en 600 par des Phocéens d’Ionie, Pélasges d’origine (c’est-à-dire Phéniciens-Grecs, suivant M. Nilsson), avait eu tout d’abord un temple de Baal et un gouvernement, avec des suffètes, semblable à celui de Carthage. Strabon nous y montre de plus un culte de la Diane d’Éphèse, la même que l’Astarté phénicienne. Cette religion paraît avoir duré à Marseille jusqu’après le temps de Pythéas, puisqu’on voit les Romains, reconnaissans des secours que les Marseillais leur avaient offerts, élever en leur honneur sur le mont Aventin une image de Diane semblable à celle que ces derniers adoraient. Notons de plus que la religion phénicienne nous apparaît partout fort jalouse de tout partage, et nous conclurons que Pythéas était, comme ses compatriotes, adorateur de Baal et d’Astarté. Les pays occidentaux de l’Europe ayant été visités et colonisés des longtemps par les Phéniciens, Pythéas côtoie ces mêmes régions et rencontre partout des hommes de sa religion et de sa race ; géographe et astronome habile (il paraît avoir, sans autre secours que celui du gnomon, déterminé, à quelques secondes près, la latitude de Marseille), il est chargé par les Marseillais, peut-être par quelques riches négocians de la ville, de faire un voyage à la fois scientifique et pratique qui leur permette d’intervenir avantageusement dans le commerce, monopolisé jusqu’alors par les Tyriens, puis par les Carthaginois. Il s’avance le long des côtes de l’Espagne, de la France, de l’Angleterre, qu’il a parcourue en différens sens, de la Hollande, de l’Allemagne, du Danemark, de la Suède et de la Norvège, allant de comptoir en comptoir avec les navires dont se servaient ces Phéniciens des côtes. Un simple particulier sans grandes ressources, comme le dépeint Polybe, ne pouvait guère accomplir autrement une si lointaine expédition dans un temps demi-sauvage. Telle est la conjecture proposée par M. Nilsson ; il faut reconnaître qu’elle est fort ingénieuse et qu’elle permet d’expliquer beaucoup de difficultés sans elle insurmontables.

Quelle est la contrée que Pythéas désigne par le nom de Thulé ? On a pensé souvent que c’était l’Islande : pure supposition suivant M. Nilsson, et appuyée sur une seule observation du moine Dicuil en 825, que des moines irlandais, trente ans avant l’époque où ce moine écrit, c’est-à-dire en 795, ayant résidé de février en août dans cette île, avaient cru y reconnaître la

  1. Dans un écrit particulier intitulé des Sacrifices religieux chez les Carthaginois Breslau 1847.