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on est parvenu dans l’art de s’entre-tuer soit, au point de vue même de l’humanité, un grand bienfait. La paix entre les peuples sera plus tenace, chacun se souciant de moins en moins de mettre le feu aux canons de ses voisins, et la guerre, quand on n’aura point su l’éviter, sera plus courte. Il faut du moins, pour l’honneur de la civilisation, espérer qu’il en sera ainsi, et que l’on ne prépare si bien la guerre que par amour de la paix. Quoi qu’il en soit, on s’explique l’intérêt que doivent présenter, même pour les profanes, c’est-à-dire pour les personnes les moins compétentes dans les choses militaires, les études auxquelles s’est livré M. le colonel Favé en entreprenant d’écrire une histoire de l’artillerie. Comment demeurer indifférent aux origines de cette arme aussi formidable que savante, à ses progrès successifs, aux efforts d’invention et de génie qu’il a fallu dépenser pour obtenir les résultats dont nous sommes témoins ?

Le travail de M. le colonel Favé remonte aux premiers temps de l’invention de la poudre, et nous fait assister aux progrès de l’artillerie jusqu’à la moitié du XVIIe siècle. Ce sont les Chinois, il faut leur rendre cet hommage, qui les premiers ont inventé la poudre ; mais ils s’en servaient surtout pour l’innocente confection des feux d’artifice. Vers la seconde moitié du Xe siècle, ils trouvèrent la fusée volante, qu’ils attachaient à leur flèche pour en augmenter la portée, et ils obtinrent ainsi un incendiaire qui pouvait être lancé avec une grande vitesse. Après eux, et à leur imitation, les Arabes employèrent la poudre, et ils en découvrirent la force projective en la disposant au fond d’un tube d’où elle lançait contre l’ennemi des balles ou des flèches. Ce furent les premières armes portatives, et, comme le fait remarquer M. le colonel Favé, la poudre à canon, loin d’avoir servi dès son origine à donner aux projectiles des portées plus grandes que les armes de jet en usage, entrait seulement en concurrence avec les armes incendiaires et devait frapper des ennemis très rapprochés. L’artillerie, telle que nous l’appliquons aujourd’hui, est donc une invention toute différente de celle de la poudre. Celle-ci nous est venue de l’Orient, l’artillerie est d’origine entièrement européenne.

Ce fut un Allemand, un moine, nommé Berthold Schwartz, qui, d’après les chroniques, eut l’honneur de tirer le premier coup de canon en l’an de grâce 1313. L’invention se répandit bientôt dans l’Europe occidentale. Dès la première moitié du XIVe siècle, on la retrouve en Italie, en France, en Espagne, où les Maures lançaient, en 1342, des boulets de fer contre les chrétiens qui assiégeaient Algésiras. Elle ne tarda pas non plus à se perfectionner et à produire d’énormes bombardes, lançant des boulets de pierre de 200, 400 et même 900 livres. Dans l’état de guerre perpétuelle où l’on vivait alors, les peuples s’appliquèrent à l’envi à se procurer et à améliorer ces précieux engins de destruction. Il faut cependant arriver presque au XVIe siècle pour voir généralisé l’emploi des bouches à feu en bronze et des boulets en fonte de fer. Vers la même époque, on chercha à remédier