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leur retour dans leur patrie, ils y rapporteront la connaissance et y répandront l’usage du français, qui en Orient tend partout à remplacer l’italien comme langue franque, comme moyen de communication entre les indigènes et les Européens ; ils y rapporteront et y répandront, je l’espère, quelque chose encore de plus, l’impression profonde laissée dans leur esprit par le spectacle de la civilisation de l’Occident, la notion et l’ambition du progrès, enfin un mouvement d’esprit, une largeur d’idées qu’on n’irait sans doute pas chercher de préférence au séminaire, mais qu’on doit pourtant y trouver encore dans une certaine mesure, quand ce séminaire est un séminaire français, situé au cœur de Paris, et que viennent y retentir, plus ou moins affaiblis par la distance, tous les bruits confus, toutes les voix puissantes qui montent de la grande ville.

Singulier phénomène! le catholicisme, qui à cette heure en Occident paraît opposé à tout mouvement d’esprit, à tout progrès, est encore en Orient un principe de vie et un instrument de progrès ; cela tient à l’infériorité du milieu où s’exerce ici son action. Il en est de même de l’islamisme : là où les nations musulmanes se trouvent en présence des nations chrétiennes, il semble être en pleine décadence, tandis que dans l’intérieur de l’Afrique il fait toujours des conquêtes, et qu’il y élève à un degré supérieur de culture morale les populations tout à fait sauvages dont il s’empare. Le catholicisme, même aux yeux de ceux qui en combattent le plus vivement en Occident les tendances et la politique, joue encore en Orient un rôle utile et vraiment fécond. Il n’est pas de libéral qui doive hésiter à souscrire pour l’Œuvre des écoles d’Orient. Partout, dans le Levant, il y a tant à faire du côté de l’instruction ! Ici par exemple, en dehors du séminaire, où ne sont reçus que ceux qui se destinent à la prêtrise, il n’y a pour les filles et les garçons d’autres écoles que des écoles tout à fait élémentaires, où l’on apprend seulement à lire et à écrire le turc en caractères arméniens.

Il y a deux ou trois Arméniens catholiques qui font d’assez grandes et parfois très hasardeuses spéculations sur la ferme des impôts et sur les grains; tous les autres, hors les très pauvres, qui se placent comme domestiques, ont des boutiques au bazar, et y font surtout le commerce de ce que l’on appelle ici manifattura, les étoffes de fabrication européenne. Angora est certainement un des marchés turcs où se placent le plus de cotonnades et de draps anglais; c’est à cet entrepôt que s’approvisionnent les détaillans des bourgs et des petites villes voisines, les Turcs laboureurs qui cultivent les plaines fertiles des environs, les Kurdes éleveurs de bétail qui promènent leurs nombreux troupeaux dans les steppes herbeux de l’Haïmaneh, d’Angora à Konieh. Ces paysans, qui de quinze ou vingt lieues