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Cette humeur facile et sociable, cette gaîté communicative qui distinguent les habitans d’Angora, ce caractère tout particulier qu’y prend la beauté féminine, tout cela me conduit à douter un peu par momens de l’origine arménienne que s’attribuent toutes ces familles catholiques. N’y aurait-il point ici, parmi les catholiques comme parmi les musulmans eux-mêmes, plus d’une famille qui descendrait en ligne directe des anciens conquérans du pays, les Galates, ces Français d’autrefois, eski Ferenciz comme on dit à Angora? Lors de l’invasion musulmane, dans beaucoup d’endroits les habitans auront préféré à l’esclavage dont ils étaient menacés le sacrifice de leur foi. Les Turcs d’Angora passent pour les plus doux et les plus faciles à vivre de toute l’Anatolie; ils descendraient en partie de ces Gallo-Grecs convertis à l’islamisme. Quant à ceux qui auront gardé leurs croyances, ils se seront trouvés rapprochés, par le nom commun de chrétiens et par de communes souffrances, des Arméniens que l’exil avait jetés en ces lieux; malgré de légères différences de dogme et de liturgie, ils se seront unis avec eux par des mariages et des alliances de toute sorte, et auront même fini par se fondre dans leurs rangs. Il est curieux que tandis que la population arménienne du bourg voisin d’Istanos a conservé l’usage de l’arménien vulgaire, cette langue soit tout à fait inconnue aux Arméniens catholiques d’Angora. N’y a-t-il pas là une raison de plus de croire qu’ici du moins cette dénomination d’Arméniens couvre des élémens très divers, et désigne une race croisée, dans les veines de laquelle le sang arménien ne domine peut-être pas? Quant au catholicisme, pour être maintenant très puissant à Angora, il n’en est pas moins de fraîche date dans cette ville; c’est, d’après des documens conservés par l’évêque, au commencement du XVIIIe siècle que la mission d’un père dominicain réussit à ramener quelques familles d’Angora au rite des Arméniens unis; en 1738, il y avait déjà douze cents maisons catholiques, et depuis lors ce nombre n’a pas cessé de s’accroître.

Plusieurs circonstances expliquent la physionomie particulière que présente au voyageur cette intéressante communauté, trop peu connue en Occident, et l’originalité de ces mœurs, beaucoup plus avancées ou du moins plus rapprochées des nôtres que celles de tous les autres groupes chrétiens de l’Anatolie. D’abord le nombre même des chrétiens d’Angora leur assurait une aisance, une liberté relative; leur agglomération considérable sur un même point leur permettait de se laisser moins dominer par l’exemple et la contagion des mœurs turques, de se créer plus facilement des habitudes à eux et une manière d’être qui leur fût propre. Ce qui leur rendait encore plus aisée la conquête de cette sorte d’indépendance morale.