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la confiance de Mazarin. Aux derniers jours de l’année 1654, Nicolas Fouquet obtint du premier ministre un règlement qui le chargeait exclusivement des recettes avec la recherche des voies et moyens, en laissant à Servien le contrôle et l’ordonnancement des dépenses.

Les choses marchèrent ainsi jusqu’à la mort de ce dernier[1], Fouquet gagnant toujours du terrain sur son collègue, malgré la vieille prééminence que l’opinion publique persistait à attribuer au célèbre négociateur de Westphalie. Ce n’était pas au moment où Mazarin poussait plus vigoureusement que jamais la guerre au dehors afin de rester maître du dedans, et quand il se faisait lui-même sous de faux noms munitionnaire de trois armées, ce n’était pas lorsqu’il recevait sur chaque marché d’énormes pots-de-vin, que le cardinal pouvait se passer des souplesses et des complaisances inépuisables d’un pareil serviteur. Lorsqu’à force de millions accumulés depuis son retour à Paris Mazarin plaçait ses nièces dans les maisons de Condé, de Savoie et de Modène, en assignant à ces jeunes filles des dots royales, d’aussi colossales spoliations, consommées en six années sur un pays appauvri, n’étaient possibles qu’avec la complicité d’un surintendant qui n’aurait pas conservé vingt-quatre heures ses fonctions, s’il n’avait trouvé chaque matin des moyens en rapport avec l’immensité des exigences. Se faire une fortune dont aucune autre n’avait jamais approché, en confiant à Fouquet le soin de la réunir, et à Colbert celui de l’administrer, couvrir aux yeux de la postérité cet insigne attentat à la probité par la paix la plus glorieuse qu’eût jamais signée la France, tel fut le programme de Mazarin, servant de texte à la défense, au moins spécieuse, du malheureux Fouquet. « Rien de ce que j’ai fait, s’écriait-il avec trop de raison devant ses juges, ne l’a été que par l’ordre de M. le cardinal. Je maintiens que ce que mes accusateurs appellent confusion a été le salut de l’état. Après la banqueroute de 1648, qui avait produit la guerre civile et ôté le crédit au roi, il n’y avait que l’espérance du gain, les remises, les intérêts, les facilités, les gratifications faites à ceux qui avaient du crédit et de l’argent qui pussent les obliger de faire des prêts au roi, et qui pussent faire avancer les sommes et les secours nécessaires. Cet expédient fut proposé à M. le cardinal comme le seul et souverain remède, après qu’il eut étudié et tenté inutilement tous les autres. Il fut accepté, autorisé et approuvé par son éminence[2]. »

Inflexible sur le but, parfaitement indifférent sur les moyens, Ma-

  1. 17 février 1659.
  2. Mémoires sur la Vie publique et privée de Fouquet, t. Ier, p. 318.