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la servitude des noirs étaient encore le but primordial des hommes d’état qui dirigeaient la politique des États-Unis. Les planteurs du sud, tout-puissans dans le sénat et sûrs de la complicité du président Buchanan, avaient subordonné toutes les autres considérations à celles de leur propre intérêt et transformé toutes leurs ambitions en articles de loi. Dans les états à esclaves, la liberté républicaine n’était plus qu’un vain mot ; les ministres de tous les cultes n’avaient plus qu’une mission, celle de prôner « l’institution divine ; » les journaux, rendus unanimes par une même passion ou par l’universelle terreur, n’avaient plus qu’un rôle, celui d’affirmer l’excellence de l’esclavage et l’infamie des abolitionistes ; toute protestation contre la servitude s’était depuis longtemps évanouie ; couverte par un immense concert de malédictions, la plainte du nègre n’était plus entendue. Dans le district de la Colombie, commun aux deux fractions de la république, les geôles où l’on fouettait les noirs s’élevaient à côté de la Maison-Blanche et du palais de la nation. Enfin, dans tous les états soi-disant libres, des négocians armaient leurs navires pour la traite des nègres sans redouter les tribunaux de leur pays ; d’autres se faisaient les bailleurs de fonds des propriétaires d’esclaves, et partageaient avec eux les bénéfices sans vouloir partager la honte. Sur aucun point de l’immense territoire américain, les fugitifs des plantations ne pouvaient se dire à l’abri. Des chasseurs de profession, parfois accompagnés de limiers, se lançaient sur la piste du gibier noir, le forçaient soit dans les campagnes, soit dans les rues des cités populeuses, puis, après avoir fait constater leurs prises par des magistrats spéciaux auxquels on payait chaque tête de nègre capturé suivant un tarif réglé d’avance, ils ramenaient les fugitifs à coups de fouet et de prison en prison. Parfois aussi les chasseurs mettaient la main sur des nègres libres, et rarement ces victimes d’une méprise plus ou moins involontaire recouvraient la possession d’eux-mêmes. Les propriétaires d’esclaves prétendaient au droit de parcourir ou même d’habiter les états libres avec leurs domestiques noirs, et de rétablir ainsi la servitude dans les contrées où elle était abolie. Par une loi récente, ils avaient livré aux empiétemens futurs de l’esclavage tout l’espace occupé par les territoires : maîtres absolus d’un tiers de la république, ils s’étaient arrogé encore, par le bill du Nebraska, le droit d’envahir un autre tiers de l’immense superficie des États-Unis. Ce n’est pas tout. Enivrés par leurs victoires successives, ils ne craignaient pas d’attenter à la liberté garantie par la génération précédente aux nègres affranchis ; dans la plupart des états du sud, l’aristocratie féodale avait décrété la servitude pour tous les hommes de couleur émancipés, et dans les autres états à esclaves de simples questions de détail arrêtaient